Márcio Flávio Martins, cicm
Conseiller général
« L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération, aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté. » (Luc 4 :18)
Le XVIème Chapitre Général de CICM, comme le Chapitre Général précédent, considère la Justice, la Paix et l'Intégrité de la Création (JPIC) comme un élément essentiel de notre activité missionnaire. Dans l'esprit du dernier Chapitre général, je souhaite développer cette réflexion au sujet de JPIC dans un monde en mutation. En résumé, j'ai l'intention de discuter de quatre points : JPIC commence à la maison, JPIC dans la Bible, JPIC dans la doctrine sociale de l'Église, et enfin, l'importance de JPIC pour annoncer l'Évangile dans un monde en mutation.
JPIC commence à la maison.
Souvent, nous entendons des questions pertinentes et troublantes : comment pouvons-nous parler de justice et de paix ailleurs si, au sein de nos communautés, nous ne développons pas des relations pacifiques et respectueuses ? Comment pouvons-nous parler de la pollution des océans si, dans nos communautés, nous ne procédons pas à un tri et à une élimination adéquates des déchets et des ordures ? Comment pouvons-nous nous préoccuper du trou dans la couche d'ozone si nous n'appliquons pas les 3R dans nos communautés (réduire, réutiliser et recycler) ? Comment pouvons-nous nous joindre à des rassemblements pour toutes sortes de causes, si nous ne traitons pas nos employés et nos collaborateurs de manière juste et équitable ? Comment pouvons-nous nous engager au service des migrants si nous refusons de vivre avec des confrères d'autres nationalités ? Comment pouvons-nous parler de justice si nos attitudes sont imprégnées de cléricalisme, d'abus de pouvoir et de relations qui ne conviennent pas ? Comment pouvons-nous dénoncer les politiciens corrompus si la corruption, malheureusement, frappe à la porte de certaines de nos communautés ? Comme le dit l'adage, « joignez le geste à la parole ! » Nous devons « joindre le geste à la parole » pour avoir un impact positif sur le monde.
En réfléchissant et en écrivant, je me souviens de certains confrères réputés qui se sont consacrés au ministère JPIC. Quelques-uns d'entre eux sont Raymond Bodson, missionnaire belge aux Philippines ; Jan Hanssens, missionnaire belge en Haïti ; et Daniel Orpilla, missionnaire philippin au Brésil. Ces confrères m'ont inspiré par leur passion et leur engagement envers JPIC. Beaucoup d'autres confrères ont servi et servent encore dans le ministère JPIC, et il est impossible de tous les mentionner ici. Cependant, en observant leur ministère JPIC, j'ai réalisé à quel point ce ministère est particulier et unique, et seuls certains ont le cœur et les compétences nécessaires pour l'embrasser pleinement et passionnément. Néanmoins, JPIC s'adresse à tous, car son fondement se trouve dans la Bible et la doctrine sociale de l'Église. Par conséquent, tout le monde peut développer les compétences nécessaires pour promouvoir JPIC, même à travers de simples initiatives.
En tant que communauté, nous devrions donner la priorité à la pratique de JPIC. Nous devons commencer par le vivre dans notre vie quotidienne. Cela peut être réalisé en accomplissant de petits actes de gentillesse et en entretenant des relations basées sur le respect mutuel. Notre prochaine étape devrait être de participer à des réseaux avec différentes organisations ecclésiales, ONG et individus qui sont directement ou indirectement impliqués dans les préoccupations de JPIC.
JPIC dans la Bible
L'Ancien Testament nous place devant le Dieu de la Création. Nous sommes devant un Dieu qui crée et prend soin de sa création. Il s'attend à ce que nous développions une relation respectueuse avec l'environnement et les uns avec les autres. (Exode 23 :10-11, Lévitique 25 :1-7, Lév 25 :7, Exode 23 :4-5). Dans l'Ancien Testament, nous trouvons les prophètes. C'étaient des gens courageux appelés et envoyés pour proclamer la vérité au nom de Dieu. Ils n'avaient pas peur de se joindre aux opprimés dans leur lutte pour la justice sociale contre les oppresseurs économiques, politiques et religieux. Les rois, les chefs religieux et les propriétaires terriens n'ont pas intimidé les prophètes, qui ont dénoncé tout ce qui opprimait les gens. Ils ont également pris le parti de ces personnes en les encourageant à défendre leurs droits et à espérer une société meilleure et plus juste. (Is 1, 10-17, Jr 7, 1-7, Amos 5, 11-15 ; 21-24, Mi 6, 1-8).
Tout au long du Nouveau Testament, Jésus a fait preuve à plusieurs reprises d'une grande compassion envers les opprimés, les abandonnés, les persécutés, les pauvres, les étrangers et les minorités. Par exemple, un jour de sabbat, Jésus a permis à ses disciples de manger, montrant ainsi qu'il est plus important de sauver la vie que de suivre la loi. Jésus avait également une relation unique avec les gens qui dépassaient les frontières culturelles, religieuses, de genre et sociales. Ses rencontres avec les Samaritains sont un exemple clair de cet amour inconditionnel envers tous. (Marc 2 :23, Luc 4 :18-19, Matthieu 5 :1-11, Matthieu 6 :3).
L'annonce du Royaume de Dieu par Jésus mérite d'être mentionnée, en particulier à une époque de grande pauvreté et de grande souffrance. En tant que Messie, il a apporté l'espérance aux gens en proclamant le Royaume de Dieu. Bien que sa proclamation renvoyait à l’eschatologique, il parlait en même temps d'une nouvelle réalité socio-économico-politique où les gens pourraient faire l'expérience d’une vie en abondance. Jésus promettait la plénitude de la vie ici sur terre et dans l'éternité, car il parlait du « déjà là» du Salut et du « pas encore ». Dans Jean 10 :10, Jésus disait : « Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils en jouissent, et qu'ils l'aient en abondance », tandis que dans Matthieu 25 : 46, il disait : « Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle. »
JPIC et la doctrine sociale de l'Église
Au cours de mes études théologiques, une de mes professeurs m'a dit un jour que les documents de l'Église les moins lus sont ceux qui se rapportent à la Doctrine sociale de l'Église (DSE). Bien qu'elle ait eu ses raisons de dire cela, j'ai de fait observé que très peu de catholiques s'intéressent à l'étude et à la pratique de la doctrine sociale de l'Église. En ignorant la DSE, nous manquons l'occasion de nous enrichir et de nous doter de divers documents qui nous aident à développer une présence missionnaire prophétique et libératrice dans le monde. Depuis Rerum Novarum (1891), l'encyclique du pape Léon XIII sur le capital et le travail, jusqu'à ces derniers jours, de nombreux documents de l'Église ont été publiés, chacun tentant d'aborder les réalités sociales concrètes auxquelles sont confrontés les peuples du monde entier. La publication de ces documents montre que l'Église universelle n'est pas indifférente aux peuples abandonnés et opprimés dans le monde entier. L'un des documents les plus cités de l'Église est Gaudium et Spes de Vatican II, qui dit : «Les joies et les espérances, les peines et les angoisses des hommes de ce temps, en particulier de ceux qui sont pauvres ou affligés de quelque manière que ce soit, ce sont les joies et les espérances, les peines et les angoisses des disciples du Christ » (GS 1).
Au cours des dernières années, le pape François a apporté des changements significatifs dans l'Église catholique, l'orientant vers une présence plus prophétique et libératrice dans le monde. Ses documents, à savoir Evangelii Gaudium (2013), Laudato Si (2015) et Fratelli Tutti (2020), sont les trois documents les plus importants qui mettent en évidence ses préoccupations pour la justice, la paix et l'intégrité de la création. Cependant, l'impact du pape François va au-delà de ses écrits ; ses actions et sa prédication ont eu un effet profond sur l'Église et sur le monde. Sa préoccupation pour les personnes marginalisées et l'environnement a placé la Justice, la Paix et l'Intégrité de la Création (JPIC) au cœur de la mission de l'Église. Le pape François a revigoré l'option préférentielle de l'Église pour les pauvres, et son désir d'une Église missionnaire renouvelée est évident. Par exemple, dans Evangelii gaudium, le mot « pauvre » est mentionné 91 fois, « paix » 58 fois et « justice » 37 fois.
Les enseignements du pape François portent souvent sur la justice, la paix, l'amour les uns pour les autres et la protection de la création. Il invite l'humanité à se convertir, à changer de mode de vie, à prendre conscience du consumérisme et à lutter contre le réchauffement climatique (LS 23). Le Pape nous appelle à une conversion écologique et à améliorer notre relation avec la création en devenant des fidèles intendants de l'œuvre de Dieu (LS 217) ; surtout, le Pape nous appelle à prendre conscience du grave péché social dont les pauvres sont les premières victimes (LS 30).
JPIC est un moyen de proclamer l'Évangile dans un monde en mutation.
Le XVIème Chapitre général avait pour thème « Témoigner de l'Évangile dans un monde en mutation ». La Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (CICM) répand l'Évangile à travers le monde depuis plus de 160 ans. Nous avons été présents dans divers contextes et à différentes époques tout au long de l'histoire de l'humanité. Nous avons survécu à la révolution des Boxers en Chine, à plusieurs pandémies et à deux guerres mondiales. Cependant, non seulement nous avons survécu, mais nous avons aussi persévéré dans l'annonce de l'Évangile en période de crise profonde. CICM a toujours été attentif aux signes des temps et a répondu aux défis posés à l'Institut avec un esprit prophétique.
La mission de diffusion de l'Évangile se poursuit à différentes époques et dans différents contextes. Il est de notre devoir d'annoncer l'Évangile de manière efficace et cohérente, sans hésitation ni crainte. Nous sommes appelés à nous engager dans diverses réalités sociales qui exigent notre présence missionnaire, prophétique et libératrice. À cet égard, nous sommes confrontés à plusieurs défis sociaux dans ce monde en mutation où CICM a un rôle prophétique à jouer. Ces défis sont les suivants :
- Prendre soin de tous et particulièrement des populations autochtones vivant dans la pauvreté, dans les zones urbaines et rurales.
- S'occuper des personnes âgées et des enfants abandonnés.
- Prendre soin de l'environnement en favorisant le reboisement là où c'est nécessaire.
- Prendre soin et défendre la dignité des femmes qui subissent des violences, qui sont persécutées ou abandonnées.
- Prendre soin et promouvoir la dignité des homosexuels (LGBTQIA+).
- Prendre soin des migrants.
- Prendre soin de personnes souffrant de dépression et de solitude.
- Fournir de la nourriture, des vêtements et de l'amour aux sans-abri et aux personnes abandonnées.
- Œuvrer à la réconciliation et au dialogue entre les différents groupes ethniques.
- Éduquer les enfants, les jeunes et les adultes, en particulier ceux issus de milieux défavorisés.
- Promouvoir la sensibilisation écologique, l'éducation et le tri des déchets.
- Promouvoir l'éco-spiritualité et l'harmonie avec la création.
- Promouvoir la Doctrine Sociale de l'Église parmi les laïcs et au sein de notre communauté.
- Promouvoir diverses organisations qui visent à lutter contre la corruption.
- Promouvoir le bon usage des médias sociaux et lutter contre les fausses nouvelles.
- Lutter contre toutes les formes de racisme.
- S'engager dans le dialogue interreligieux et l'œcuménisme pour promouvoir la coexistence pacifique et juste des personnes de diverses confessions.
Les réalités sociales sont probablement infinies. Il est important de modifier cette liste en fonction du contexte social dans lequel nous nous trouvons. Quelle que soit la société, nous rencontrerons des personnes qui luttent pour diverses raisons. Nous ne pouvons pas ignorer ces problèmes et prétendre que tout va bien. Le livre de l'Apocalypse nous exhorte à agir : « Je connais tes œuvres, je sais que tu n'es ni froid ni chaud. J'aimerais que tu sois l'un ou l'autre ! C'est pourquoi, parce que tu es tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3, 15-16).
Notes finales
Le ministère JPIC peut avoir un impact significatif sur la vie de ceux qui l'adoptent. Cela peut devenir une façon de vivre et de mener à bien une mission. Le ministère JPIC ne se limite pas aux progressistes ou aux gauchistes. C'est un ministère qui est fermement enraciné dans la Bible et les enseignements de l'Église. Pour ces raisons et d'autres, le dernier Chapitre général a une fois de plus mis l'accent sur JPIC comme l'une de ses préoccupations. Le Chapitre exhorte ceux qui sont directement impliqués dans JPIC à poursuivre leur ministère avec enthousiasme et dévouement. Soutenir nos confrères qui sont activement engagés dans les préoccupations de JPIC, tels que les coordinateurs JPIC, est une invitation pour nous tous, en particulier ceux qui occupent des postes de direction. Comme pour tous les autres membres, le Chapitre souhaite une plus grande ouverture et une plus grande attention aux diverses réalités sociales présentes dans nos zones respectives de mission et, surtout, que nous nous engagions activement auprès d'eux. Surmonter toutes les formes de complaisance, d'indifférence et d'égoïsme qui nous empêchent de participer au ministère JPIC reste un défi pour beaucoup d'entre nous.
Pour conclure, souvenons-nous des paroles du Pape François à l'occasion de la première Journée mondiale des pauvres, le 19 novembre 2017. Il déclarait : « C'est un scandale qu'il y ait encore de la faim et de la malnutrition dans le monde ! Il ne s'agit pas seulement de réagir à des urgences immédiates, mais de faire face ensemble, à tous les niveaux, à un problème qui interpelle notre conscience personnelle et sociale, pour parvenir à une solution juste et durable. Que personne ne soit forcé de quitter sa terre et son environnement culturel en raison d'un manque de moyens de subsistance.» §