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    De l’Administration générale

    La vie communautaire : défis et opportunités

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    Charles PhukutaPar Jozef Matton, cicm
     

    Vivre en communauté ne constitue pas un quatrième vœu dans la vie religieuse. Et pourtant, lorsqu’on lit l’un ou l’autre article sur la vie religieuse, on y rencontre souvent l’importance attachée à la vie communautaire. Celle-ci est un élément constitutif de la vie religieuse. Certes, il y a les ermites qui ont choisi une vie en solitude. Mais je pense que presque toutes les congrégations religieuses actives ont opté pour une vie en communauté. Notre Congrégation ne fait pas exception à cela.

    Nos documents

    Nos Constitutions renferment des articles sur la vie communautaire. L’article 17 affirme : «Suivant Jésus, en communauté de frères, nous proclamons que Dieu est la réalité dernière de nos vies et nous maintenons vivante parmi les hommes l’espérance du Royaume et de sa justice.»

    L’article 23 affirme clairement que le soutien d’une communauté fraternelle nous aide à assumer dans la foi la solitude inhérente au célibat.

    L’article 51 affirme que « pour autant que notre apostolat le permet, nous vivons ensemble en communauté. Dans la vie communautaire, nous affermissons les liens qui nous unissent. Un projet commun donne plus de force au témoignage de notre parole et de notre travail. L’hospitalité cordiale caractérise nos communautés. » 

    Le Chapitre général de 2011 affirme avec force l’importance d’une vie en communauté.

    « Ce Chapitre met fortement l’accent sur la compréhension de notre identité comme missionnaires religieux. Comme missionnaires religieux CICM, « notre identité et notre mission sont liées au niveau communautaire ». Nous vivons dans des communautés internationales et multiculturelles en vue de témoigner du Royaume de Dieu dans un monde caractérisé par la division entre les races, les cultures et les nations.

    En CICM, la communauté n’est pas seulement pour la mission, mais elle est mission. Ce Chapitre comprend que lorsque la vie en communauté est vécue avec intensité, la vie religieuse est consolidée. Quand nous sommes clairs sur notre identité et quand nous nous en approprions, nous sommes enthousiastes à réaliser notre mission comme un engagement collectif » (Actes du 14e Chapitre général CICM, p. 10).

    La communauté est mission : quelle tâche, quelle responsabilité !

    Plusieurs autres documents CICM affirment que la vie en communauté est, pour nous, missionnaires religieux CICM, de grande importance et de grande valeur. Elle ne constitue nullement un détail anodin. Même si au cours de l’histoire de notre Congrégation, cet aspect de vie en communauté a été discuté et même remis en question plus d’une fois.

    Ce que j’ai vu et entendu

    Au cours des années comme CICM, j’ai aussi entendu de nombreux commentaires et d’affirmations sur la vie communautaire. Certains m’ont surpris et étonné.

    Par exemple, il y a plusieurs années déjà, j’ai entendu un confrère qui venait à peine d’être ordonné prêtre dire : « Moi, vivre dans une communauté, jamais ! »

    Un autre confrère disait qu’il regrettait de ne jamais avoir été nommé seul dans une paroisse.

    Ces confrères ont pourtant vécu en communauté durant tout leur parcours en Formation initiale : noviciat, philosophie, théologie, stage en paroisse… Parfois, cette vie en communauté pouvait durer plus de 10 ans.

    J’ai aussi connu des communautés — si l’on peut parler de communautés dans ces cas-là — où les confrères vivaient sous le même toit, mais ne priaient pas, ne mangeaient pas, ne se détendaient pas ensemble, voire même ne se parlaient pas pendant la journée. Oui, vivre sous le même toit n’est pas encore vivre en communauté.

    Pourquoi cette envie de vivre seul ? C’est comme si la vie en communauté est considérée comme une menace pour sa vie privée.

    Dans plusieurs Provinces, en lien avec l’article 51 de nos Constitutions, les responsables ont fait un effort pour que les confrères ne vivent pas seuls dans une paroisse. Et je suis heureux de voir que les nouveaux confrères qui arrivent dans une Province sont davantage nommés pour renforcer ou créer une équipe de vie dans une paroisse et non pas pour commencer une nouvelle insertion.

    Pour l’une ou l’autre raison, les confrères qui vivent seuls sont rattachés à une communauté de référence. Ces confrères sont invités aux récollections ou autres activités de la communauté. Et certains y participent avec beaucoup d’enthousiasme. C’est le cas en BNL par exemple.

    Mgr Johan Bonny, l’évêque d’Anvers en Belgique, disait explicitement qu’il voulait une communauté religieuse internationale lorsqu’il a demandé des missionnaires CICM dans son diocèse.

    Un défi

    Certes, la vie communautaire est une exigence pour la vie religieuse et missionnaire. Mais nous devons reconnaître que la construction d’une communauté saine reste un défi. Par exemple, en lisant pour écrire cet article, je suis tombé sur le site web des Pères Jésuites d’Afrique de l’Ouest. J’y ai lu quelque chose qui, à mon avis, n’est pas seulement important pour les jésuites, mais peut aussi nous faire réfléchir :

    Il faut, pour vivre en communauté, développer en soi une capacité d’attachement fraternel, d’écoute, de respect de l’autre, de franchise et de vérité dans les rapports, d’attention, d’amitié, de compréhension, de bienveillance et de miséricorde.

    « Il faut être capable d’entrer avec ses frères dans une prière commune, dans un échange sur la vie et l’apostolat, dans une réflexion, une recherche, un discernement, qui soient au bénéfice de tous. Il faut pour cela pouvoir faire taire en soi l’égocentrisme, l’individualisme ou la tentation de l’isolement; il faut pouvoir dépasser l’esprit partisan ou fermé…

    En somme, la dimension communautaire de notre mission n’est pas acquise une fois pour toutes, mais elle demande un effort pour la renouveler et la consolider constamment. » 

    Il est évident que vivre en communauté, loin d’être un acquis, constitue plutôt un défi qu’il faut relever au quotidien.

    Cependant, j’ai l’impression que l’usage de certains moyens de communication ne favorise pas toujours une vie en communauté. Prenons garde que nos smartphones, nos tablettes, nos ordinateurs, etc. ne prennent pas la place de nos confrères.

    Soyons en même temps conscients que nous sommes appelés à une mobilité et ne serons donc jamais membres d’une même communauté pour toute notre vie.

    Des opportunités

    Nous avons tous besoin d’une communauté qui nous soutient ! Dans son encyclique Fratelli Tutti, le Pape François écrit à cet effet :

    « Nul ne peut affronter la vie dans l’isolement. Nous avons besoin d’une communauté qui nous soutient, qui nous aide et dans laquelle nous nous entraidons pour regarder vers l’avenir. Qu’il est important de rêver ensemble! Seul, on risque d’avoir des mirages par lesquels tu vois ce qu’il n’y a pas; les rêves se construisent ensemble » (no. 8).

    Une vie fraternelle et solide en communauté nous aide aussi à vivre et à rester fidèles à nos engagements religieux faits le jour de notre première profession. Sans aucun doute, une bonne communauté peut jouer le rôle de contrôle social bénéfique.

    Expériences et engagement

    Nous avons tous quelque chose en commun. En effet, nous avons vécu au moins pendant quelques années dans une communauté. Ainsi, nous avons tous fait l’expérience d’une vie communautaire, soit positive, soit négative.

    Chacun a au moins une idée sur ce qui peut être positif pour construire une bonne vie communautaire et sur ce qui peut être un obstacle ou même ce qui peut détruire une vie en communauté.

    Et, nous savons tous qu’une bonne vie communautaire demande un engagement des responsables de la communauté — car ils ont une responsabilité essentielle à cet égard — et de chaque membre de la communauté. L’engagement commence tout d’abord chez soi-même. N’attendons pas tout de la part des autres. C’est un engagement personnel et communautaire !

    Trouver du temps pour les autres, prier ensemble, manger ensemble et se détendre ensemble sont là des moyens qui peuvent contribuer à ce que notre vie en communauté soit plus qu’une vie sous le même toit.

    Pour finir, cet article est le dernier que je publie dans la rubrique « Pour Notre Réflexion » alors que je termine mon mandat de Conseiller général en juin 2023. Je ne suis pas un écrivain. Même à l’école primaire et secondaire, mes notes en « rédaction » étaient plutôt maigres. Cela n’a jamais été mon point fort. Merci à tous ceux qui ont relu et qui ont traduit mes articles. Je n’oublie pas de remercier ceux qui m’ont fait parvenir leurs commentaires sur mes articles. J’ai vraiment apprécié ces commentaires. Bonne chance à tous.  


    Les forces spirituelles acquises doivent surpasser de beaucoup les forces corporelles

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    Charles Phukutapar Adorable Castillo, cicm Vicar
     

    Nous avons célébré dans la joie, le 28 novembre 2022, le 160e anniversaire de la fondation de notre Congrégation et bientôt, le 12 juin 2023, nous célébrerons solennellement le bicentenaire de la naissance de Théophile Verbist, notre Fondateur. Permettez-moi de faire une comparaison entre les débuts et la situation actuelle de notre Congrégation. Je ne mentionnerai qu’un aspect particulier, à savoir la disponibilité de nos ressources financières ainsi que leur gestion. Nous sommes conscients que certains confrères ont manqué de rigueur en matière de gestion financière. Comme il est dit dans les Actes du 15e Chapitre général : « Nous avons observé quelques cas de mauvaise gestion et de fraude financière ».[1] L’une des causes de cette situation malheureuse serait peut-être la disponibilité de ressources suffisantes, voire abondantes, à notre disposition. Certains confrères n’ont pas su les utiliser à bon escient. Ils ont apparemment perdu leur repère moral, ont succombé à la tentation et se sont laissés égarer.

    Dans une lettre (n° 549) adressée au noviciat de Scheut le 20 octobre 1867, Verbist écrit : « Tous les commencements sont difficiles et je sais mieux que quiconque qu’avec la meilleure volonté on ne fait pas toujours ce que l’on voudrait. Dès le début, nous nous sommes trouvés dans des alternatives pénibles... Nous devons songer à fonder une Congrégation solidement vertueuse, si nous voulons atteindre le but que nous nous sommes proposé ... Les forces spirituelles acquises doivent surpasser de beaucoup les forces corporelles. »

    Verbist fit de son mieux pour obtenir des ressources financières suffisantes pour le succès de son aventure missionnaire. Il reçut un soutien financier de diverses sources, telles que la Sainte Enfance, la Propaganda Fide et les catholiques ordinaires d’Europe. Il se lança dans un voyage missionnaire, bien sûr, non sans « nourriture, sac ou argent » (Mc 6, 8). Mais sa plus grande force était sa foi en la Divine Providence. Permettez-moi de citer des extraits de certaines de ses lettres.

    –  Ma grande confiance en Dieu qui m’imposait la Mongolie tout entière me rassurait toujours que les moyens ne m’auraient pas manqué,  Lettre 458

     – Le bon Dieu nous préserve de catastrophes, nos chrétiens sont en permanence à l’église implorant le secours du ciel. J’ai la confiance qu’Il ne restera pas sourd à nos supplications et qu’Il nous enverra au moins de quoi ne pas mourir de faim, Lettre 493

     – Le bon Dieu sait bien que sans argent il n’y a pas moyen de faire son œuvre. Il ne nous le refusera pas,  Lettre 533.

    Aujourd’hui, le défi est de savoir comment tirer une leçon des bonnes actions de Verbist et de ses premiers compagnons, en particulier comment gérer nos ressources suffisantes et les utiliser à bon escient. Comment maintenir une proportionnalité créative ? Verbist a trouvé à juste titre une formule. « Ce qui leur manquait en ressources financières, ils l’ont compensé avec leur foi et leur enthousiasme. »[2] Lorsque les ressources étaient limitées, la foi et l’enthousiasme abondaient. Qu’en est-il de nous ? J’espère que la relation inverse ne sera pas vraie. J’ai fait ici un schéma pour que chaque confrère puisse remplir le vide et prendre à cœur ce défi :

    Autour de 1862 : manque de ressources financières ----une grande foi et un enthousiasme abondant

    Autour de 2023 : des ressources suffisantes-------_________________

    Après plus de 160 ans depuis notre fondation, nous avons construit des infrastructures matérielles importantes pour la Congrégation et rassemblé suffisamment de ressources financières pour nos besoins ad intra et ad extra. Qu’en est-il de nos « forces spirituelles » ? Pouvons-nous nous revendiquer le même  effort aussi louable que celui de Verbist ? Avons-nous assez de foi pour déplacer des montagnes ? Avons-nous le même enthousiasme missionnaire que Verbist et ses premiers compagnons pour faire face aux défis du 21e siècle ?

    Les « forces spirituelles » dont je parle sont les éléments d’une spiritualité missionnaire émergente de CICM. Il semble que la spiritualité signifie simplement participer et multiplier des exercices spirituels comme les prières communautaires, les messes, les dévotions, les récollections et les retraites. Je crois effectivement que toutes ces activités sont nécessaires et importantes pour une communauté religieuse comme la nôtre. Cependant, nourrir une spiritualité missionnaire ne se limite pas à s’engager dans les divers exercices spirituels mentionnés ci-dessus. La spiritualité missionnaire est un mode de vie, une série d’attitudes et de dispositions justes, une vision renouvelée du rôle de l’Église dans le monde et un engagement profond dans la transformation missionnaire de toute l’Église, comme l’a réitéré le Pape François dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium. Un bon nombre de confrères ont déjà écrit des articles et des brochures sur certains aspects de la spiritualité CICM (Pierre Lefebvre, Michel Decraene, Eric Manhaeghe, Jean-Gracia Etienne, et autres). J’ai également essayé d’identifier certains « ingrédients » de la spiritualité missionnaire CICM dans certains articles que j’ai publiés dans Chronica. Je me contenterai d’en énumérer trois et de décrire brièvement chacun d’entre eux.

    La mission ad gentes et ad extra

    En tant que missionnaires ad gentes, nous sommes exhortés à être proches des gens, attentifs à leurs besoins et à être solidaires avec eux, en particulier dans les situations de pauvreté et d’injustice. C’est une expression de la « spiritualité de l’incarnation ». En tant que Congrégation dédiée au Verbe Incarné, nous sommes censés dialoguer avec les cultures et les religions en nous consacrant à la première évangélisation. En tant que missionnaires ad extra, nous sommes exhortés à incarner l’attitude de « mobilité, de disponibilité et de “désinstallation” » telle que décrite dans les Actes du 9e Chapitre général (1981).

    D’une part, la mobilité est la disposition à laisser derrière soi son confort personnel et à mettre de côté ses préférences personnelles afin de relever de nouveaux défis missionnaires. D’autre part, l’immobilité est plus que l’inactivité. Elle implique aussi l’usurpation, car elle suppose une appropriation et une occupation d’un espace qui, le plus souvent, ne nous appartient pas.

    La disponibilité signifie être à l’écoute des « signes des temps » afin d’être au service de la mission universelle de l’Église qui exige que nous allions aux « périphéries » et que nous travaillions en dehors de notre propre zone de confort. Si nous ne pouvons pas laisser notre engagement actuel et que, par conséquent, nous devenons indisponibles pour d’autres tâches, nous risquons de prendre plus d’espace que nécessaire ou de prendre plus de choses difficiles à supporter.

    La désinstallation suppose un détachement du pouvoir ambivalent de l’institution établie, que ce soit dans l’Église ou dans la société. En revanche, l’installation consiste à être fixé ou attaché à un espace, qu’il soit social, politique ou économique. La désinstallation nous rend absolument libres et nous libère de l’attachement démesuré. Pour cette raison même, le détachement est une composante majeure d’une spiritualité missionnaire émergente CICM.

    Esprit pionnier

    Notre Fondateur était un véritable pionnier. Il a dirigé le premier groupe de missionnaires CICM en Mongolie intérieure. Ils n’étaient cependant pas les premiers missionnaires là-bas. Ils ont repris un vaste territoire ecclésiastique qui était d’abord desservi par les Lazaristes. Selon les récits historiques, il y avait déjà un bon nombre de chrétiens et quelques prêtres diocésains ordonnés. Apparemment, ils ne faisaient que poursuivre le travail de leurs prédécesseurs. Bien sûr, ils étaient fils de leur temps. Ils adhéraient à la conception  ecclésiastique officielle de la mission et leur entreprise missionnaire était menée selon les règles établies par la Propaganda Fide. L’une des particularités qui distinguaient Verbist et ses compagnons était peut-être leur « obstination » qu’est une passion particulière, par amour de la mission, pour faire ce qui est le plus difficile. En tant que pionniers, ils apportaient quelque chose de nouveau à la mission de l’Église. En tant que pionniers, ils étaient des précurseurs et des éclaireurs. Ils avaient tracé de nouvelles pistes pour les autres et découvert des sentiers non battus pour les autres. Ils étaient comme Jean Baptiste, le Précurseur, qui avait préparé la voie du Seigneur. Le Fondateur et ses premiers compagnons l’ont fait pour nous, la nouvelle génération de missionnaires CICM - nous sommes leurs « arrière-petits-enfants spirituels ».

    Amanti nihil difficile (Rien n'est difficile pour celui qui aime)

    Ce dicton latin se trouve dans l’une des lettres de notre Fondateur. Cette attitude missionnaire est étroitement liée à l’esprit pionnier de Verbist et ses premiers compagnons. Il semble que la nomination missionnaire dans des pays plus développés soit plus attrayante. Le travail missionnaire dans des centres-ville est préférable à celui dans des périphéries. Seuls quelques-uns osent faire des œuvres de pionniers pour de bonnes raisons. Dans la plupart de nos affiches pour l’animation vocationnelle, nous montrons de belles photos de confrères souriants, heureux et satisfaits de leur travail missionnaire. Si jamais nous montrons un confrère qui gravit une montagne accidentée ou qui traverse une rivière traîtresse, c’est généralement une image mitigée par sa pure aventure et ses sensations fortes préférées par la génération dite millénaire. Il ne pourrait s’agir que d’excellents angles photographiques et de poses pour les selfies.

    La prise de risques est plus souvent assimilée à un sentiment momentané de crainte et d’émerveillement ou à une dose exaltante de poussée d’adrénaline, mais pas exactement aux douleurs, aux agonies, aux sacrifices et aux difficultés de nos missionnaires pionniers dans les arrière-pays abandonnés de la Chine, dans les forêts inhospitalières du Congo et les montagnes accidentées des Philippines. Nous semblons vendre un christianisme agréable et sûr ou un Évangile de prospérité sans la croix. Un christianisme doux qui n’est pas trop exigeant ou un christianisme sans Gethsémani et sans Golgotha est très difficile à vendre et ne peut être qu’un désastre marketing. Comme l’affirme Timothy Radcliffe : « Un tel “marketing” du christianisme est voué à l’échec: avant tout, parce que la spiritualité chrétienne est tout sauf sûre. Une foi apprivoisée trahit ce qui est en son cœur même, à savoir l’aventure de la transcendance. Le christianisme est séduisant parce qu’il nous invite à être audacieux et à donner notre vie sans condition. Il est la porte de l’infini. »[3]

    Alors que nous célébrons le bicentenaire de la naissance de notre Fondateur, nous commémorons également sa mort prématurée. La vie est un continuum significatif de la naissance à la mort. À la mort de Verbist, nous ne pouvons dire que du bien de lui. En effet, Verbist a vécu une vie courte par rapport à la norme de longévité d’aujourd’hui. Il n’avait que 44 ans et a passé à peine 27 mois en mission à l’étranger.[4] Il est mort en Chine, son pays de mission, très loin de sa Belgique natale. Il est certain que le doute et un peu de pessimisme avaient envahi les premiers confrères CICM et leurs bienfaiteurs au pays lorsqu’il mourut prématurément. Il avait l’intention de retourner en Europe après sa dernière visite pastorale « pour donner une orientation finale » à la formation des jeunes missionnaires. Sa mort prématurée a semblé être un coup dur pour la Congrégation naissante. Les mêmes inquiétudes et préoccupations ont habité les autorités ecclésiastiques lorsque les cinq premiers missionnaires de la Société des Missions Africaines (SMA), dont le fondateur Melchior Marion de Brésillac, sont morts en l’espace de six semaines en Sierra Leone après y être débarqués brièvement en 1859. Mais leur congrégation a survécu. La nôtre aussi a fleuri sous la direction du Saint-Esprit. La mort n’a pas eu le dernier mot pour cette congrégation si chère à Verbist.

    La dignité d’une personne ne se mesure pas à sa longévité ni à sa productivité, moins encore à son utilité. Elle se mesure plutôt à sa capacité de plaire à Dieu et de faire Sa volonté. Elle se manifeste dans sa disposition à renoncer à elle-même, à prendre sa croix et à suivre le Seigneur et même à perdre sa vie au nom de l’Évangile. Être disciple est le fondement de la dignité de chacun. La dignité des disciples ne se perd jamais dans la mort, mais elle est au contraire renforcée et exaltée.

    En tant qu’humble disciple de Jésus-Christ, Verbist est mort pour le bien du Maître et celui de l’Évangile. Et sa mort, comme un grain de blé tombé en terre, n’a pas été vaine. Ella a porté beaucoup de fruits. Pour certains, la mort signifie la fin. Pour d’autres, la mort n’est que le début d’une nouvelle vie. Oui, en effet, la mort de notre Fondateur a été le début d’une nouvelle vie pour la Congrégation. Depuis lors, l’héritage spirituel de Verbist a été transmis aux différentes générations de missionnaires CICM. Nous sommes des missionnaires consacrés ad gentes et ad extra. Nous portons en nous l’esprit pionnier de Verbist et ses premiers compagnons. Et nous osons aller, contre vents et marées, là où « l’Évangile n’est pas connu ou vécu ».

    Notre Congrégation a grandi au fil des ans avec des œuvres très diverses et s’est étendue sur quatre continents. Aujourd’hui, nous avons de nombreuses raisons de nous réjouir et de remercier le Seigneur, entre autres, pour le don de la vie de Verbist et pour son dévouement total à la mission jusqu’à sa mort prématurée, et pour toute Sa bonté et Ses bénédictions à l’égard de l’ensemble de notre Congrégation malgré nos défauts et nos manquements.  

     

    [1] Actes du 15e Chapitre général, p. 33.

    [2] Ibid.

    [3] Timothy Radcliffe, Alive in God: A Christian Imagination (London : Bloomsbury, 2019), p. 42

    [4] Verbist et ses premiers compagnons quittèrent Scheut, Bruxelles, le 25 août 1865, arrivèrent à Pékin le 25 novembre 1865 et atteignirent finalement Xiwanze le 6 décembre 1865. Verbist est mort le 23 février 1868 à Laohugou. Voir Nestor Pycke, Théophile Verbist’s Adventure (Louvain: Institut F. Verbiest, 2010), pp. 57–59.


    Appelés et envoyés comme témoins de la foi, de l’espérance et de la charité

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    Charles Phukutapar Charles Phukuta, cicm
     

    L’an prochain, nous célébrerons notre 16e Chapitre général ainsi que le bicentenaire de la naissance de notre fondateur, Théophile Verbist. Dans le numéro de juillet-août 2022 de Chronica, Jean-Gracia Etienne introduit une réflexion sur la trilogie, Esprit-âme-corps, que le facilitateur avait présentée aux participants du 15e Chapitre général en expliquant que : « L’âme de la Congrégation ou son cœur est sa capacité d’expérimenter Dieu, d’inspirer et d’animer les peuples, de transformer les membres de ses communautés en disciples de foi, d’espérance et de charité. »1   Cette partie de la trilogie demeure un défi. Par conséquent, au moment de nous préparer au prochain Chapitre général nous avons entrepris une réflexion sur les thèmes de la spiritualité et de la mission, de la réconciliation et de l’interculturalité en nous efforçant de renouveler l’élan apostolique de l’Institut et de nous encourager mutuellement à demeurer fidèles à notre vocation missionnaire religieuse (Cf. Constitutions CICM, art. 110).

    Je voudrais vous inviter maintenant à réfléchir plus profondément sur l’importance de la réconciliation et sur notre fraternité universelle au moment de proclamer et d’être des témoins de l’évangile. La fraternité est un élément constitutif de l’Église et de notre foi. Il n’est pas étonnant dès lors que l’article 2 de nos Constitutions nous indique comment nous devons proclamer et être des témoins de l’évangile.

    Missionnaires religieux de différentes races et cultures, nous vivons et travaillons ensemble comme des frères. “Un seul cœur et une seule âme”, nous témoignons de la fraternité universelle dans le Christ voulue par le Père. Nous sommes signe de la solidarité des églises particulières dans leur mission universelle. 

    L’article 45 ajoute de façon réaliste :

    Nous reconnaissant pécheurs, nous mettons notre confiance en la miséricorde de Dieu et nous répondons à l’appel du Christ qui veut nous réconcilier avec le Père et entre nous. Nous avons régulièrement recours au sacrement de réconciliation et nous faisons les pas nécessaires pour restaurer toute communion brisée.

    En tant que CICM, nous aimons parler de fraternité universelle et de multiculturalité qui répondent à notre désir de communion fraternelle qui se trouve au cœur du message de réconciliation de l’évangile. Pour des missionnaires religieux envoyés à proclamer et témoigner l’évangile, le risque de s’illusionner que le mal est présent à l’extérieur de nous et pas en nous-mêmes existe toujours. Toutefois, nous ne nous comportons pas toujours comme des frères et des enfants d’un Dieu aimant et sommes à l’origine de ruptures entre nous. Par conséquent, nous avons besoin de nous réconcilier régulièrement avec Dieu et les autres ; nous avons besoin de paroles de pardon, source de vie. Lorsque nous devenons conscients qu’il existe une rupture dans notre relation avec un confrère ou quelqu’un d’autre, nous devons aller à leur rencontre, nous excuser ou offrir notre amitié. Lorsque c’est la communauté elle-même qui souffre de telles ruptures, nous sommes invités à assainir la situation.2

    En lisant les différents rapports et réflexions sur le Memo de la réconciliation, je suis conscient que notre cheminement nous oriente vers un renouvellement des relations qui existent entre nous et autrui. Au moment de nous préparer au 16e Chapitre général, j’aimerais vous faire part de quelques réflexions afin de nous aider à répondre harmonieusement à ce grand appel à la réconciliation et à la communion fraternelle pour proclamer et témoigner l’évangile dans notre monde en mutation.

    Le christianisme est la proclamation de l’évangile en tant que message de fraternité universelle. Dans le contexte actuel de mondialisation, nous, chrétiens, devons encourager et diffuser l’esprit d’une fraternité universelle qui transcende toutes les frontières tout en respectant les différences qui existent entre les cultures. Par conséquent, une fraternité en communauté contribue à la proclamation de la bonne nouvelle. Personne ne peut, sous prétexte de raisons apostoliques, se dégager de la vie fraternelle en communauté. Bien au contraire, cela fait partie intégrante de notre engagement à proclamer et témoigner l’Évangile.

    Jésus a raison lorsqu’il nous dit : « Tout royaume divisé contre lui-même devient un désert; toute ville ou maison divisée contre elle-même sera incapable de tenir» (Mt 12, 25).  Malheureusement, parfois nous vivons des frictions qui rendent la réconciliation et le pardon difficiles. Toutefois, ces deux attitudes sont indispensables pour que la vie fraternelle soit à la fois une proclamation et un témoignage bona fide. Le Pape François fait une observation semblable lorsqu’il en parle dans son Exhortation apostolique Evangelii Gaudium (EG).

    À ceux qui sont blessés par d’anciennes divisions il semble difficile d’accepter que nous les exhortions au pardon et à la réconciliation, parce qu’ils pensent que nous ignorons leur souffrance ou que nous prétendons leur faire perdre leur mémoire et leurs idéaux. Mais s’ils voient le témoignage de communautés authentiquement fraternelles et réconciliées, cela est toujours une lumière qui attire. Par conséquent, cela me fait très mal de voir comment, dans certaines communautés chrétiennes, et même entre personnes consacrées, on donne de la place à diverses formes de haine, de division, de calomnie, de diffamation, de vengeance, de jalousie, de désir d’imposer ses propres idées à n’importe quel prix, jusqu’à des persécutions qui ressemblent à une implacable chasse aux sorcières. Qui voulons-nous évangéliser avec de tels comportements ?  (EG, no. 100)

    Il est assez habituel que des conflits éclatent entre membres d’une même communauté. Personne n’est à l’abri des blessures qui rendent la vie en communauté difficile. Pendant nos visites canoniques, nous avons pu observer que de très anciennes blessures qui remontent parfois à des décennies sont encore des plaies béantes. Je reste parfois surpris de constater que d’anciennes querelles perdurent dans certaines communautés. Nous devrions toujours nous demander ce que nous pouvons faire pour trouver une issue. Notre foi chrétienne nous invite à trouver de la force dans l’attitude de Jésus qui, dès que justice et droit ont été respectés, ne propose aucun autre moyen si ce n’est le pardon pour clore le cycle du conflit et des hostilités.

    La fraternité authentique ne peut exister que lorsqu’on donne et reçoit le pardon. Nous parlons ici de cette fraternité qui, malgré les différences, est une expérience d’amour qui surmonte les conflits, car les conflits communautaires sont inévitables. D’ailleurs, d’une certaine manière, ceux-ci doivent exister si la communauté veut vivre sincèrement des relations de confiance authentiques. Rêver d’une communauté sans divergences n’est pas réaliste ni bon. Lorsqu’il ne faut supporter aucun conflit dans une communauté, cela signifie qu’il faut changer et améliorer certaines choses.3

    Seul le bien peut l’emporter sur le mal (Rom 12:22 ; cf. 1 Pi 3:9). Vivre dans une communauté réconciliée et ouverte à la diversité transforme notre interculturalité en témoignage éloquent démontrant que nous sommes capables de vivre comme des frères et sœurs et par conséquent de proclamer et témoigner l’évangile. De nos jours, beaucoup de nos communautés sont riches de sensibilités culturelles et nationales différentes. Les confrères vivent ensemble dans le respect de leurs différences. Toutefois, il nous faut rester vigilants, car la tendance humaine est de créer des frontières pour nous protéger des différences.

    L’appel du Pape est une invitation à examiner notre conscience par rapport à la qualité de notre fraternité et sa capacité de réconciliation. Nos communautés promeuvent-elles et accordent-elles suffisamment de place au pardon et à la réconciliation ? Comment pouvons-nous avoir des communautés où règne la joie s’il n’y a que peu de place pour la réconciliation ? Parfois, nous sommes trop tentés de critiquer librement nos confrères. Sommes-nous conscients qu’une telle attitude qui peut parfois aller jusqu’au dénigrement est une attaque contre la fraternité ?

    Ce temps de préparation au Chapitre général est un moment propice de prière et d’espérance joyeuse. Les célébrations du Chapitre général et du Bicentenaire de la naissance de notre Fondateur nous permettent de nous réapproprier et d’approfondir l’essence de notre charisme, d’écouter ce que les gens attendent d’un missionnaire religieux CICM aujourd’hui, d’évaluer et de discerner notre témoignage, notre proclamation et notre vie communautaire ainsi que de donner une nouvelle vitalité à la congrégation. 

    Pour préparer cette double célébration, recherchons la réconciliation avec la ou les personnes avec lesquelles nous avons une relation difficile ou brisée.   En outre, partout où règne le conflit, une retraite spirituelle de réconciliation pendant le prochain carême 2023, avant le Chapitre général pourrait s’avérer très bénéfique – une retraite facilitée par une personne ressource compétente, capable d’encourager et d’interpeller quiconque reconnaît sa part de responsabilité dans le conflit et de l’exprimer ouvertement dans la communauté et est ouvert à s’engager dans une sincère et authentique réconciliation.

    Le défi que pose la réconciliation est la ténacité. Il faut aider les opposants à continuer à se parler, à s’écouter avec compassion, à se pardonner et à chercher un juste milieu pour trouver la paix sans jamais y renoncer. Comme nous en exhorte saint Paul :

    Puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonnés : faites de même. Par-dessus tout cela, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait (Col 3, 12-14).

    Ne nous lassons pas de faire le bien (Cf. Gal 6, 9). Ne nous laissons pas voler l’idéal de l’amour fraternel  (EG, no. 101)! Et pour finir, je vous souhaite de cheminer en communion vers les célébrations du Chapitre général et du bicentenaire de la naissance de notre Fondateur.   


    Et pourtant, nous sommes pécheurs.
    Nous sommes aussi cause de perturbations
    dans les relations.

    Nous ne nous comportons pas toujours
    en enfants du Dieu d’amour.

    Nous avons régulièrement besoin
    de nous réconcilier avec Dieu
    et avec les autres.

    Nous avons besoin de faire
    l’expérience des paroles de pardon
    qui redonnent vie.

    Constitutions CICM. Commentaire, p. 91

    ---------------

    1. Quelle Bonne et Belle Mission! Actes du 15e Chapitre général, p.4.

    2. Constitutions CICM Commentaraire. Chapitre I: Notre Institute, 2e Édition, 2007, p. 90-91.

    3. « Réveillez le monde ! 29 novembre 2013, entretien du pape François avec les supérieurs généraux, » in Documentation catholique, n° 2514, p.12-13.


    Odeur, ocytocine, tawas et vie interculturelle

    Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives

    Jean Gracia ETIENNEpar Silvester Asa, cicm
     

    Les chercheurs ont découvert que les bactéries se développent dans tous les coins et recoins de notre corps. Dans le règne animal, certaines bactéries s’épanouissent autour de l’orifice ou des parties intimes, ce qui explique pourquoi ces parties spécifiques du corps deviennent le centre d’attention des rites d’attachement et d’accouplement. Il est intéressant de noter qu’à l’instar de nos parents, les lémuriens, qui pouvaient se tenir sur leurs deux pieds, nous, les humains, remplissons nos aisselles de bactéries. La glande située sur nos aisselles produit certains microbes avec une odeur particulière qui, dans le cas des lémuriens, les aident à déterminer si un lémurien est issu de la même « conspiration » et s’il s’apparente à eux. Pour nous, les êtres humains, l’attirance pour une autre personne, ou l’absence d’attirance est une question de chimie. En effet, l’odeur de notre environnement personnel, qui peut être retracée jusqu’à nos aisselles, nous lie ou nous sépare.[1] C’est peut-être la raison pour laquelle une personne peut sentir le rafflesia pour vous, mais cette même personne peut être un pot d’albâtre débordant d’huile de bois de santal pour quelqu’un d’autre. Cela pourrait également expliquer pourquoi Adam est attiré par Eve, alors que Steve préfère Job. 

    Il est intéressant de noter que certaines études ont par ailleurs conclu que notre corps humain, plus précisément notre cerveau, est capable de produire de l’ocytocine, une hormone qui joue un rôle important dans notre comportement. L’ocytocine, aussi connue sous le nom d’hormone de l’amour, nous aide à nous sentir proches et connectés aux autres. En d’autres termes, l’ocytocine explique pourquoi les oiseaux de même plumage se regroupent. Cependant, il est important de se rappeler que l’ocytocine ne sert qu’à renforcer nos liens les uns avec les autres. En outre, les recherches sur le comportement des primates ont révélé que les niveaux d’ocytocine augmentent considérablement lorsqu’ils renforcent leur proximité et leurs liens. De même, les couples qui sont affectueux et se bénissent mutuellement par de tendres caresses ont tendance à développer un système immunitaire fort et à vivre plus longtemps et en meilleure santé grâce à une dose élevée d’ocytocine. [2]

    Il est curieux de constater que, même si l’ocytocine nous permet de renforcer nos liens les uns avec les autres, cette même hormone peut également accroître notre animosité envers les autres, les transformant en ennemis. L’ocytocine «incite à la confiance, à la générosité et à la coopération envers Nous, mais provoque un comportement plus désagréable envers Eux (…) »[3] La frontière entre l’amour et la haine est en effet très étroite. Alors, quel est le rapport entre ces études et la Formation initiale CICM et notre vie interculturelle en tant que missionnaires religieux CICM ? Pouvons-nous apprendre quelque chose de ces récentes découvertes scientifiques ? Permettez-moi de répondre à ces questions par une illustration basée sur des expériences réelles.

    Avec sept autres Indonésiens, j’ai passé deux semestres mémorables au Séminaire Maryshore situé dans la ville de Bacolod, Philippines, pour nos études de philosophie. Un jour, nous avons reçu des « tawas »[4] en cadeau. C’était la première fois que la plupart d’entre nous voyaient cette chose qui ressemble à du cristal et se demandaient quoi en faire. Plus tard, nous avons découvert que le tawas est largement considéré comme efficace, entre autres, pour neutraliser les odeurs corporelles aux Philippines. Cette découverte nous a fait comprendre à nous, les Indonésiens, que nos frères philippins tentaient de nous transmettre un message subtil, mais essentiel afin d’aborder la question pertinente de nos odeurs corporelles distinctes. En conséquence, certains d’entre nous ont commencé à utiliser du tawas, tandis que d’autres ont eu recours à des déodorants conventionnels ou se sont contentés de l’alcool.

    Des années plus tard, en tant que formateur, j’ai dû surmonter mon embarras pour aborder la question des odeurs corporelles. Certains membres de la communauté avaient soulevé cette question dans leur « évaluation par les pairs », ce qui nécessitait mon intervention. Contrairement à ma crainte que cela n’offense les parties concernées, mes commentaires soigneusement élaborés ont été accueillis avec enthousiasme.

    En écoutant mon partage, un confrère congolais m’a dit qu’il avait vécu une expérience similaire dans la mission en tant que formateur. Une fois, il a reçu un appel de l’école où nos étudiants étaient inscrits pour leurs études parce qu’un confrère étudiant avait « une odeur corporelle un peu forte ». L’école pensait que le confrère formateur pouvait aider à attirer l’attention de l’étudiant sur cette question. Il a discuté, malgré son inconfort et son embarras, poliment de cette question sensible avec le confrère étudiant et l’affaire a été résolue à l’amiable.

    S’il est vrai que nous avons tendance à être attirés par ceux qui partagent notre chimie, grâce à l’ocytocine, la bonne nouvelle est que notre proximité et nos interactions constantes peuvent, avec le temps, augmenter la production de notre ocytocine positive et celle du lien social. En effet, l’amour n’est pas seulement le fruit d’un coup de foudre et d’un coup d’éclat, mais il se nourrit aussi. Cela devrait être une nouvelle plus que bienvenue pour nous, missionnaires religieux CICM, qui venons de races, de nationalités et de milieux culturels différents. Et oui, chacun d’entre nous a une odeur corporelle distincte.

    Personne n’a jamais affirmé que vivre ensemble dans une communauté serait facile. Personne n’essaye de mettre en œuvre des politiques et des pratiques discriminatoires systémiques malgré nos différences fondamentales. Au contraire, notre vision et nos politiques sont claires comme de l’eau de roche. Appelés par le même Seigneur, nous suivons les pas de notre cher Fondateur, Théophile Verbist, laissant derrière nous notre environnement familier pour proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création dans le Cor Unum et Anima Una. De plus, certaines structures mises en place, comme l’établissement de communautés internationales de formation qui nous permettent d’être proches les uns des autres, même au tout début de notre formation missionnaire religieuse CICM, peuvent réellement augmenter le niveau de notre ocytocine positive. En fait, c’est un moyen efficace d’accepter progressivement les effets secondaires de l’ocytocine. Dans des cas extrêmes, la même hormone d’amitié peut provoquer de l’animosité, qui peut conduire à la haine et à la discrimination raciale. Par conséquent, la formation de communautés de formation et d’équipes pastorales internationales et multiculturelles est nécessaire et importante pour la fécondité de la mission.

    Le défi, cependant, reste que nous devons aller au-delà de la vie internationale et multiculturelle. Réunir différentes nationalités et groupes culturels dans un même espace simplement parce que nous voulons être «multiculturels et internationaux» est insuffisant. Ce n’est que le début d’un voyage. Nous ne pouvons célébrer notre vie interculturelle que lorsque nous pouvons nous interpeller avec délicatesse, nous affirmer et nous enrichir les uns les autres, car nous avons tous été bénis avec quelque chose d’unique. 

    En fait, pour beaucoup de nos frères philippins — et je dois ajouter pour nous Indonésiens — c’était très probablement la première expérience de vie avec des « étrangers » qui sentent différemment. Je suis sûr qu’il n’a pas été facile pour ces séminaristes philippins de trouver des moyens créatifs d’aborder cette question sans nous offenser. Nos frères philippins auraient pu choisir de ne pas interagir du tout avec nous. Au lieu de cela, ils ont choisi de nous accueillir parmi eux. Heureusement, ils ont trouvé la réponse à cette question existentielle dans, entre autres, le tawas. Et il en était de même pour nous, les formateurs, qui étions empêtrés dans cette question délicate. Il serait gênant que nous devions écarter un candidat uniquement parce qu’il a une odeur particulière. Au lieu de cela, nous avons accepté nos propres appréhensions afin de résoudre cette question avec prudence et style. Bien sûr, une telle intervention créative risque d’être perçue comme une manière subtile d’imposer un certain standard de vérité aux autres. Cependant, il faut y voir un effort authentique de la part de certains membres de la communauté de partager la richesse de leur tradition avec ceux qui souhaitent entrer dans leur écurie sacrée, accueillant ainsi un étranger comme l’un des leurs. Après tout,

    Il appartient à notre dignité humaine de rechercher et de partager la vérité. La vérité est le fondement de toute communauté humaine. Les êtres humains s’épanouissent dans la recherche commune de la vérité, comme les poissons dans l’eau et les oiseaux dans l’air. Sans elle, nous périssons et la société se désintègre. Partager ce que je crois être le plus profondément vrai exprime ma croyance en la dignité de l’autre personne.[5]

    Ce qui s’est passé a simplement démontré une telle ingéniosité à partager ce qui est une vérité reconnue et éprouvée par le temps. Espérons que cet acte ingénieux et courageux, motivé par l’hospitalité et le désir sincère d’unité et d’harmonie, nous aidera de manière significative à devenir des missionnaires religieux CICM avertis sur le plan interculturel et ayant « l’odeur des brebis ».[6] 

     

    [1] DW Documentary. “Who lives on our Bodies? A Microscopic Safari.” YouTube Video, March 7, 2022. Who lives on our bodies? A microscopic safari | DW Documentary - YouTube

    [2] DW Documentary. “How does touch affect our mental and physical health.” YouTube Video, April 2, 2022. How does touch affect our mental and physical health? | DW Documentary - YouTube

    [3] Robert M. Sapolsky, Behave, the Biology of Humans at our Best and Worst (Penguin Books, 2017), 389.

    [4] Tawas est également connu sous le nom d'alun de potassium ou simplement d'alun.

    [5] Timothy Radcliffe, OP., “Does Europe Need Missionaries?” dans SEDOS Bulletin 2022, Vol.54, No. ¾, March-April, 15.

    [6] Pape François, Homélie de la messe chrismale en la basilique Saint-Pierre, le jeudi saint 28 mars 2013, en 28 mars 2013 : Messe chrismale | François (vatican.va).