Contact Us  |  

    Des Régions et Provinces

    Odeur, ocytocine, tawas et vie interculturelle

    Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
     

    Jean Gracia ETIENNEpar Silvester Asa, cicm
     

    Les chercheurs ont découvert que les bactéries se développent dans tous les coins et recoins de notre corps. Dans le règne animal, certaines bactéries s’épanouissent autour de l’orifice ou des parties intimes, ce qui explique pourquoi ces parties spécifiques du corps deviennent le centre d’attention des rites d’attachement et d’accouplement. Il est intéressant de noter qu’à l’instar de nos parents, les lémuriens, qui pouvaient se tenir sur leurs deux pieds, nous, les humains, remplissons nos aisselles de bactéries. La glande située sur nos aisselles produit certains microbes avec une odeur particulière qui, dans le cas des lémuriens, les aident à déterminer si un lémurien est issu de la même « conspiration » et s’il s’apparente à eux. Pour nous, les êtres humains, l’attirance pour une autre personne, ou l’absence d’attirance est une question de chimie. En effet, l’odeur de notre environnement personnel, qui peut être retracée jusqu’à nos aisselles, nous lie ou nous sépare.[1] C’est peut-être la raison pour laquelle une personne peut sentir le rafflesia pour vous, mais cette même personne peut être un pot d’albâtre débordant d’huile de bois de santal pour quelqu’un d’autre. Cela pourrait également expliquer pourquoi Adam est attiré par Eve, alors que Steve préfère Job. 

    Il est intéressant de noter que certaines études ont par ailleurs conclu que notre corps humain, plus précisément notre cerveau, est capable de produire de l’ocytocine, une hormone qui joue un rôle important dans notre comportement. L’ocytocine, aussi connue sous le nom d’hormone de l’amour, nous aide à nous sentir proches et connectés aux autres. En d’autres termes, l’ocytocine explique pourquoi les oiseaux de même plumage se regroupent. Cependant, il est important de se rappeler que l’ocytocine ne sert qu’à renforcer nos liens les uns avec les autres. En outre, les recherches sur le comportement des primates ont révélé que les niveaux d’ocytocine augmentent considérablement lorsqu’ils renforcent leur proximité et leurs liens. De même, les couples qui sont affectueux et se bénissent mutuellement par de tendres caresses ont tendance à développer un système immunitaire fort et à vivre plus longtemps et en meilleure santé grâce à une dose élevée d’ocytocine. [2]

    Il est curieux de constater que, même si l’ocytocine nous permet de renforcer nos liens les uns avec les autres, cette même hormone peut également accroître notre animosité envers les autres, les transformant en ennemis. L’ocytocine «incite à la confiance, à la générosité et à la coopération envers Nous, mais provoque un comportement plus désagréable envers Eux (…) »[3] La frontière entre l’amour et la haine est en effet très étroite. Alors, quel est le rapport entre ces études et la Formation initiale CICM et notre vie interculturelle en tant que missionnaires religieux CICM ? Pouvons-nous apprendre quelque chose de ces récentes découvertes scientifiques ? Permettez-moi de répondre à ces questions par une illustration basée sur des expériences réelles.

    Avec sept autres Indonésiens, j’ai passé deux semestres mémorables au Séminaire Maryshore situé dans la ville de Bacolod, Philippines, pour nos études de philosophie. Un jour, nous avons reçu des « tawas »[4] en cadeau. C’était la première fois que la plupart d’entre nous voyaient cette chose qui ressemble à du cristal et se demandaient quoi en faire. Plus tard, nous avons découvert que le tawas est largement considéré comme efficace, entre autres, pour neutraliser les odeurs corporelles aux Philippines. Cette découverte nous a fait comprendre à nous, les Indonésiens, que nos frères philippins tentaient de nous transmettre un message subtil, mais essentiel afin d’aborder la question pertinente de nos odeurs corporelles distinctes. En conséquence, certains d’entre nous ont commencé à utiliser du tawas, tandis que d’autres ont eu recours à des déodorants conventionnels ou se sont contentés de l’alcool.

    Des années plus tard, en tant que formateur, j’ai dû surmonter mon embarras pour aborder la question des odeurs corporelles. Certains membres de la communauté avaient soulevé cette question dans leur « évaluation par les pairs », ce qui nécessitait mon intervention. Contrairement à ma crainte que cela n’offense les parties concernées, mes commentaires soigneusement élaborés ont été accueillis avec enthousiasme.

    En écoutant mon partage, un confrère congolais m’a dit qu’il avait vécu une expérience similaire dans la mission en tant que formateur. Une fois, il a reçu un appel de l’école où nos étudiants étaient inscrits pour leurs études parce qu’un confrère étudiant avait « une odeur corporelle un peu forte ». L’école pensait que le confrère formateur pouvait aider à attirer l’attention de l’étudiant sur cette question. Il a discuté, malgré son inconfort et son embarras, poliment de cette question sensible avec le confrère étudiant et l’affaire a été résolue à l’amiable.

    S’il est vrai que nous avons tendance à être attirés par ceux qui partagent notre chimie, grâce à l’ocytocine, la bonne nouvelle est que notre proximité et nos interactions constantes peuvent, avec le temps, augmenter la production de notre ocytocine positive et celle du lien social. En effet, l’amour n’est pas seulement le fruit d’un coup de foudre et d’un coup d’éclat, mais il se nourrit aussi. Cela devrait être une nouvelle plus que bienvenue pour nous, missionnaires religieux CICM, qui venons de races, de nationalités et de milieux culturels différents. Et oui, chacun d’entre nous a une odeur corporelle distincte.

    Personne n’a jamais affirmé que vivre ensemble dans une communauté serait facile. Personne n’essaye de mettre en œuvre des politiques et des pratiques discriminatoires systémiques malgré nos différences fondamentales. Au contraire, notre vision et nos politiques sont claires comme de l’eau de roche. Appelés par le même Seigneur, nous suivons les pas de notre cher Fondateur, Théophile Verbist, laissant derrière nous notre environnement familier pour proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création dans le Cor Unum et Anima Una. De plus, certaines structures mises en place, comme l’établissement de communautés internationales de formation qui nous permettent d’être proches les uns des autres, même au tout début de notre formation missionnaire religieuse CICM, peuvent réellement augmenter le niveau de notre ocytocine positive. En fait, c’est un moyen efficace d’accepter progressivement les effets secondaires de l’ocytocine. Dans des cas extrêmes, la même hormone d’amitié peut provoquer de l’animosité, qui peut conduire à la haine et à la discrimination raciale. Par conséquent, la formation de communautés de formation et d’équipes pastorales internationales et multiculturelles est nécessaire et importante pour la fécondité de la mission.

    Le défi, cependant, reste que nous devons aller au-delà de la vie internationale et multiculturelle. Réunir différentes nationalités et groupes culturels dans un même espace simplement parce que nous voulons être «multiculturels et internationaux» est insuffisant. Ce n’est que le début d’un voyage. Nous ne pouvons célébrer notre vie interculturelle que lorsque nous pouvons nous interpeller avec délicatesse, nous affirmer et nous enrichir les uns les autres, car nous avons tous été bénis avec quelque chose d’unique. 

    En fait, pour beaucoup de nos frères philippins — et je dois ajouter pour nous Indonésiens — c’était très probablement la première expérience de vie avec des « étrangers » qui sentent différemment. Je suis sûr qu’il n’a pas été facile pour ces séminaristes philippins de trouver des moyens créatifs d’aborder cette question sans nous offenser. Nos frères philippins auraient pu choisir de ne pas interagir du tout avec nous. Au lieu de cela, ils ont choisi de nous accueillir parmi eux. Heureusement, ils ont trouvé la réponse à cette question existentielle dans, entre autres, le tawas. Et il en était de même pour nous, les formateurs, qui étions empêtrés dans cette question délicate. Il serait gênant que nous devions écarter un candidat uniquement parce qu’il a une odeur particulière. Au lieu de cela, nous avons accepté nos propres appréhensions afin de résoudre cette question avec prudence et style. Bien sûr, une telle intervention créative risque d’être perçue comme une manière subtile d’imposer un certain standard de vérité aux autres. Cependant, il faut y voir un effort authentique de la part de certains membres de la communauté de partager la richesse de leur tradition avec ceux qui souhaitent entrer dans leur écurie sacrée, accueillant ainsi un étranger comme l’un des leurs. Après tout,

    Il appartient à notre dignité humaine de rechercher et de partager la vérité. La vérité est le fondement de toute communauté humaine. Les êtres humains s’épanouissent dans la recherche commune de la vérité, comme les poissons dans l’eau et les oiseaux dans l’air. Sans elle, nous périssons et la société se désintègre. Partager ce que je crois être le plus profondément vrai exprime ma croyance en la dignité de l’autre personne.[5]

    Ce qui s’est passé a simplement démontré une telle ingéniosité à partager ce qui est une vérité reconnue et éprouvée par le temps. Espérons que cet acte ingénieux et courageux, motivé par l’hospitalité et le désir sincère d’unité et d’harmonie, nous aidera de manière significative à devenir des missionnaires religieux CICM avertis sur le plan interculturel et ayant « l’odeur des brebis ».[6] 

     

    [1] DW Documentary. “Who lives on our Bodies? A Microscopic Safari.” YouTube Video, March 7, 2022. Who lives on our bodies? A microscopic safari | DW Documentary - YouTube

    [2] DW Documentary. “How does touch affect our mental and physical health.” YouTube Video, April 2, 2022. How does touch affect our mental and physical health? | DW Documentary - YouTube

    [3] Robert M. Sapolsky, Behave, the Biology of Humans at our Best and Worst (Penguin Books, 2017), 389.

    [4] Tawas est également connu sous le nom d'alun de potassium ou simplement d'alun.

    [5] Timothy Radcliffe, OP., “Does Europe Need Missionaries?” dans SEDOS Bulletin 2022, Vol.54, No. ¾, March-April, 15.

    [6] Pape François, Homélie de la messe chrismale en la basilique Saint-Pierre, le jeudi saint 28 mars 2013, en 28 mars 2013 : Messe chrismale | François (vatican.va).