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    Lettre du Père Théophile Verbist

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    Atkin Timothy Ongoing FormationPar Jos Das, cicm


    Lettre reçue au CTV-Mbudi (Kinshasa)

    Chers fils,

    Cela fait 150 ans, jour pour jour, que j’ai quitté la Mongolie vers laquelle le Seigneur m’avait envoyé pour y porter la Bonne Nouvelle de son Fils. À mon humble avis, il m’a appelé chez lui trop tôt, car l’œuvre que j’avais commencée sous l’inspiration de l’Esprit était à peine née. Ce jour-là, la Congrégation était comme un enfant qui n’avait que 5 ans. Maintenant, comme je suis dans la maison du Père, j’ai un autre regard, celui de Dieu, j’ai changé d’avis. Je vois maintenant beaucoup plus clair. Je vois que cette œuvre n’était pas la mienne, mais celle du Seigneur, et ce qu’il avait commencé, il ne pouvait pas le laisser mourir. C’est cela que je voudrais vous dire : la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie est l’œuvre de Dieu à laquelle il nous a appelés à collaborer, vous tous et moi. Imprégnez-vous de cette vérité, alors vous pourrez vivre votre mission, la mission de Dieu, avec con- fiance, car elle est en bonnes mains, celles de Dieu.

    Maintenant, en écartant les nuages, et du haut du ciel, je regarde le monde, et je vous vois à l’œuvre dans quatre continents. Je suis vraiment étonné. Le jour où j’ai quitté la terre, aux dernières heures de ma vie là-bas, je pensais que c’était fini. J’étais inquiet, angoissé même, je pensais : « j’ai travaillé en vain ». Pourquoi ces pensées négatives ? Parce que je considérais la fondation comme mon œuvre à moi, mais c’était l’œuvre de Dieu. Et elle l’est toujours. D’où cette éclosion. Nous semons, mais c’est Dieu qui donne la croissance, comme le dit S. Paul. De nombreux confrères m’ont rejoint ici à la maison de notre Père, plus de 2000. Nous sommes heureux ensemble, nous sommes heureux de nous retrouver ici. Nous ne vous oublions pas, mais nous prions pour vous tous.

    Oui, je le répète, je suis étonné et en même temps très heureux de voir comment cette petite plante du début a grandi et est devenue un grand arbre. L’image a changé, la couleur a changé. Mes premiers compagnons étaient tous des Belges et Hollandais, et cela a été comme ça pendant encore beaucoup d’années. Mais la vie, le travail, la joie, l’endurance ont inspiré et attiré des jeunes des pays où nous étions à l’œuvre. Aujourd’hui, la famille des Scheutistes, des cicm, compte parmi ses membres de confrères de l’Afrique, de l’Asie, des deux Amériques, de l’Europe. Elle est devenue comme un immense champ de fleurs, de différentes couleurs et beautés, un champ beaucoup plus riche et moins monotone qu’au début. Quand j’ai commencé cette œuvre, je ne pouvais pas m’imaginer une telle éclosion, une telle croissance. Rendons grâce à Dieu, car il est bon.

    Je sais que ce n’est pas facile de vivre ces différences de cultures, de mentalités et d’âges. Moi - même j’en ai fait l’expérience quand je suis arrivé en Chine, en Mongolie intérieure. J’ai souffert pour apprendre la langue, une langue très difficile, et à mon âge… et je dois avouer humblement que ma connaissance était très rudimentaire. Mais j’ai fait des efforts et les gens ont apprécié cela. Ils m’ont aimé et ils voulaient que je reste parmi eux. C’est pourquoi ils ne voulaient pas qu’on transfère ma dépouille à Scheut. Quelques confrères ont dû le faire en secret. Et en plus, comprendre la mentalité des gens, entrer dans cette mentalité, c’est encore beaucoup plus difficile qu’apprendre une langue. Le missionnaire dans un autre pays, dans un autre peuple, reste toujours un étranger, même après de nombreuses années de présence engagée. C’est cela un aspect de sa pauvreté qu’il est invité à accepter humblement.

    Je suis fier de vous voir à l’œuvre. Partout où vous arrivez, la première chose que vous faites, c’est apprendre la langue du peuple et vivre une période d’intégration. La langue est la porte d’entrée. Le souci est d’être proche du peuple, de devenir frères. Du haut du ciel, avec mes confrères autour de moi, je vois celui-là très doué pour des langues, il se sent à l’aise ; un autre qui peine, mais qui avance. Il fait des progrès, et surtout, il aime son peuple, et les gens l’aiment aussi. C’est cela qui est important, c’est cela l’Évangile. Je vous encourage d’aimer les gens et de vous laisser aimer. Beaucoup de confrères ont mis la langue locale par écrit, ont composé des grammaires et dictionnaires, ont traduit l’Évangile et la Bible tout entière dans des langues locales. Félicitations !

    Je vois aussi partout où vous travaillez des communautés fraternelles, des communautés de plus en plus internationales et multiculturelles. Vivre l’interculturalité est un défi à relever, ce n’est pas facile de vivre avec des personnes d’autres cultures, avec une autre mentalité, j’en ai fait moi-même l’expérience pendant les quelques années que j’ai vécu en Mongolie intérieure, je l’ai vu aussi chez mes confrères. Il y en avait qui ont bien réussi, d’autres se avait un sentiment de supériorité. Il y avait des tensions. Je le constate parfois aussi chez vous aujourd’hui. Mais vous y travaillez sérieusement. Vous avez publié «Les Directives générales sur la vie multiculturelle» pour aider et encourager tous les confrères à vivre une vie communautaire harmonieuse, nonobstant les différences. Ainsi, je suis heureux que beaucoup parmi vous vivent une vie communautaire, fraternelle. C’est un grand témoignage dans le monde d’aujourd’hui où il y a tant de divisions, de rivalités, de régionalismes, de tribalismes. Sachez que votre vie communautaire et fraternelle est déjà mission. C’est l’Évangile vécu. Jésus a dit un jour : vous êtes tous frères. Et Saint Paul ajoute qu’il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.

    Est-ce que je dois vous dire que la vie missionnaire exige courage et endurance ? Je crois que vous en faites l’expérience chaque jour. Mais j’y ajoute qu’elle demande aussi une grande confiance en Dieu. C’est sa mission à lui, il ne vous abandonne jamais, il vous accompagne. Deux paroles que j’ai répétées souvent de mon vivant : courage et confiance ! Dans vos prières personnelles et communautaires, confiez toujours votre mission au Seigneur. Un vrai missionnaire est un homme de terrain, actif, entreprenant, pionnier - les Scheutistes sont connus comme de vaillants travailleurs - mais il doit être aussi un contemplatif, sinon on risque de bâtir sur du sable.

    Donc, je suis heureux, très heureux même, de vous voir à l’œuvre dans la vigne du Seigneur. Mais de l’autre côté, je ne peux pas vous cacher ma profonde tristesse, ma déception, à cause des scandales causés par certains, à cause des contre-témoignages d’autres, à cause des défections de confrères. J’ai lu cette parole du Pape François et je vous pose la même question : « Qui voulons-nous évangéliser avec de tels comportements ? » D’où viennent ces défections ? Peut-être de la solitude ? Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Ces paroles de Dieu valent aussi pour vous. Sans une vie communautaire, nous risquons d’aller chercher des compensations ail - leurs : l’alcool, la femme, une vie bourgeoise, l’argent. Ainsi je vous invite à ne jamais laisser tomber un confrère, à avoir une attention fraternelle pour ceux qui passent par un moment difficile, pour ceux qui se sentent seuls, abandonnés, découragés, à vous soutenir mutuellement par une correction fraternelle, par la prière. Même les confrères qui ont quitté la Congrégation, restent toujours des confrères, vous ne pouvez pas les oublier. Je suis heureux qu’on ait remis leur photo dans la galerie de photos dans la maison - mère à Scheut.

    Oui, vous avez besoin d’argent pour accomplir votre mission. Je l’ai écrit à mes compagnons, j’en ai fait moi-même l’expérience. C’était un casse-tête : la vie de mes compagnons en Chine, nourrir tant d’orphelins, initier des œuvres pour l’évangélisation. Ainsi, je suis content que vous fassiez partout des efforts pour l’autofinancement, pour la prise en charge. Je vous en félicite. Mais l’argent n’est pas un but, il doit être toujours au service de la mission. Dans les anciennes Constitutions de la Congrégation, encore en latin, je lis : «Habentes alimenta et quibus tegantur, his contenti sint», des paroles reprises de Saint Paul : « Lors donc que nous avons nourriture et vêtement, sachons être satisfaits ». Il faut compter aussi sur la Providence divine, comme j’ai écrit : « J’ai confiance que cela (l’argent) arrivera. Le bon Dieu sait que sans argent il n’y a pas moyen de faire son œuvre ».

    Cependant, l’argent semble être un danger. Est-ce que je peux vous exprimer mon étonnement et ma grande tristesse quand je lis le Décret dans les Actes du dernier Chapitre général : « … le 15e Chapitre général décrète que tout cas de mauvaise gestion ou de fraude financière grave soit sévèrement puni, en exigeant de son auteur réparation et restitution. En cas de refus avéré et de manque de collaboration de la personne concernée, l’autorité compétente recourra aux procédures de renvoi de l’Institut… ». Si les participants au Chapitre en sont arrivés à un tel décret, cela laisse entendre que la mauvaise gestion ou la fraude financière ne sont malheureusement pas des cas rares et qu’il faut y remédier avec des moyens forts. Saint Paul avait raison d’écrire : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent », qui mène à la ruine et la perdition. Le Pape François le dit de sa façon : « Le diable entre par les poches ».

    Chaque année, le nombre des confrères diminue. Mais j’ai confiance, car chaque année un bon nombre de jeunes rejoignent les rangs de la Congrégation. Je prie le bon Dieu qu’il donne de bons, de vrais Scheutistes. Si le Seigneur donne de jeunes enthousiastes, courageux, endurants, persévérants, l’avenir de la Congrégation est assuré. Je vous dis que la mission en Mongolie intérieure était rude et ingrate ; elle l’est partout, je crois. Il vous faut donc des forces spirituelles et physiques nécessaires pour endurer des épreuves. Je reprends ici les paroles que j’ai écrites au noviciat de Scheut le 20 octobre 1867 : « Oh ! oui, mes chers amis, dans l’intérêt de la mission à laquelle vous vous offrez si généreusement, et dans votre propre intérêt, ne soyez pas téméraires ; éprouvez votre vocation, sans précipitation ; éprouvez-là sérieusement ». Courage et confiance ! Avec de demi-vocations, la Congrégation n’est pas servie. Si après un sérieux discernement, vous vous rendez compte que le Seigneur ne vous appelle pas à la vie missionnaire cicm, ayez l’humilité de faire sa volonté, sans honte ni rancœur. Le bon Dieu continuera à vous aimer.

    J’ai encore bien d’autres choses à raconter, mais si je les mettais par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres que j’en écrirais.

    Encore une chose qui fait ma joie. Je suis heureux que vous ayez choisi comme thème de votre dernier Chapitre général mes paroles : « Quelle bonne et belle mission ! ». Je les répète ici. J’y ajoute : Courage ! Allez ! Ne craignez pas ! Car la mission est parfois dure et ingrate. Mais aussi, confiance ! Car le Seigneur vous accompagne.

    Votre humble père fondateur Théophile Verbist ■


     foto articolo jos das