Par Timothy Atkin, cicm
Les récentes campagnes électorales et récents référendums nous ont présenté un nouveau mot, « post-vérité ». Le Dictionnaire Oxford a même choisi « post-vérité » comme son mot pour l’année 2016, cela après le référendum controversé sur le « Brexit », et également après une élection présidentielle américaine, qui a divisé les gens et a favorisé une utilisation encore plus massive de cet adjectif.
Le mot « post-vérité » est attribué à un auteur américain, Ralph Keyes, qui l’a inventé et utilisé comme titre de son livre paru en 2004 : « L’ère post-vérité ». Ce mot se réfère aux mensonges flagrants, qui sont systématiquement acceptés comme la vérité par l’ensemble de la société. Keyes écrit : « Dans l’ère post-vérité, les frontières deviennent floues entre la vérité et le mensonge, l’honnêteté et la malhonnêteté, la fiction et la non-fiction. Tromper les autres devient un défi, un jeu, et finalement, une habitude. »
Dans les campagnes électorales récentes, nous avons constaté que les politiciens peuvent proférer des mensonges sans être condamnés. Cela diffère de l’opinion selon laquelle, tous les politiciens mentent et font des promesses qu’ils n’ont pas l’intention de réaliser — car l’opinion commune reste toujours celle selon laquelle, on s’attend à ce que l’honnêteté soit une valeur requise de tous dans les circonstances normales. Cependant, dans notre monde post-vérité, cette attente ne tient plus debout.
Transparence et responsabilité
Qu’est-ce que cela signifie quand un politicien peut dire : « Je ne voulais pas vraiment dire ce que j’ai dit ; je l’ai dit parce que voulais être élu ? » Est-ce que cela signifie que quelqu’un peut dire quoi que ce soit, juste pour être ordonné ou recevoir une nomination particulière, que cela soit vrai ou non ? Il suffit de penser aux conséquences pour la formation religieuse ou la sainteté du mariage, si notre consentement librement donné est accompagné d’un qualificatif qui implique que, tout ce qui a été dit ou promis, l’a été simplement en vue d’obtenir ce que l’on voulait, sans engager notre profonde conviction. Comment peut-on connaître quelqu’un ou lui faire confiance, quand la transparence et la responsabilité sont totalement ignorées ?
Amants de la sagesse et la vérité
La plupart d’entre nous ont reçu une certaine formation philosophique. Ainsi, nous sommes des « amants de la sagesse », qui avons appris à rechercher le Bien, le Vrai et le Beau. Nous avons aussi étudié la théologie et avons été envoyés annoncer l’Evangile de la Vérité. Le fait que les émotions et croyances personnelles sont souvent en guerre contre la vérité n’est pas un fait nouveau. En fait, le mensonge et les préjugés nous ont toujours accompagnés. Mais, le fait qu’ils puissent être si facilement entendus et acceptés est quand même troublant. Comment pouvons-nous alors vivre et accomplir notre mission, lorsque la vérité des faits a moins d’influence sur les gens, que leurs émotions, leurs croyances personnelles et leurs préjugés ? C’est en restant engagé !
Fidélité au charisme CICM
Aujourd’hui, plus que jamais, les éléments de notre charisme CICM, tels que : la proximité aux gens, l’engagement pour la justice, la formation des laïcs et la solidarité avec les pauvres, devraient être mis en évidence. Le mensonge et les préjugés ne sont pas combattus, principalement, par la construction d’édifices ou la célébration des rituels, mais par des sessions de formation bien planifiées ; des homélies bien réfléchies ; et le fait d’être présents dans certains lieux et certaines situations, même quand notre présence nous rend indésirables ou met les autres mal à l’aise.
Au cours des cinq dernières années, j’ai fait de nombreuses visites canoniques. J’ai visité la plupart des pays où nous travaillons et plusieurs confrères là où ils vivent. J’ai été témoin de nombreux exemples des confrères engagés dans la mission très proches de la vie quotidienne des gens. Leur engagement constitue aussi une façon d’inviter les gens à réfléchir et à suivre l’inspiration de leur propre esprit et leur cœur. Certains confrères peuvent paraître un peu étranges pour beaucoup d’entre nous : trop attachés à une cause ; trop radicaux dans leurs idées ; trop particuliers dans leur style de vie. Et pourtant, ce sont ces confrères qui sont mes vrais héros. Ce sont eux pour qui je suis très heureux de me lever chaque matin et passer ma journée à faire le peu que je fais, afin qu’ils puissent faire les choses merveilleuses qu’ils font.
Au cours de mes visites, j’ai aussi rencontré des confrères extrêmement occupés. Ils passent d’un endroit à l’autre, me disent-ils, « pour s’occuper des affaires de mon Père ». Ils visitent les chapelles ; administrent les sacrements ; réorganisent ce qui a déjà été organisé ; et décident nouvellement ce qui a déjà été décidé. Ces confrères sont très occupés ; mais sont-ils vraiment engagés ?
L’article 10 de nos Constitutions nous dit que : « L’Institut se met au service des Églises particulières ». Cela est bien et bon ; mais cela ne signifie pas que nous devons devenir le clergé diocésain ou nous limiter aux préoccupations des Églises particulières. L’article 10 poursuit, en disant : « Nous nous efforçons de répondre à ces besoins (les besoins des Églises particulières), tout en restant fidèles à notre identité ». Le Directoire Commun, qui vient après l’article 10, nous donne 6 articles, 10,1 à 10.6, qui contiennent quelques points pratiques, qui peuvent nous aider à être fidèles à notre identité, tout en servant les Églises particulières. Mais, notre préoccupation première doit toujours être « le souci de la mission universelle, tant à l’intérieur qu’au-delà des frontières » de nos Églises particulières (article 11).
Créativité et engagement
Après plusieurs années de visites dans les Provinces et visites des confrères, je commence à me demander : « Nos engagements missionnaires augmentent-ils ou diminuent-ils ? » Je ne parle pas de quantité de nos engagements, mais de leur qualité. Quand je rencontre deux confrères, chacun vivant seul, parce que l’Évêque voulait diviser la paroisse où ils travaillaient ensemble, je suis sûr que l’Évêque et les fidèles en sont heureux. Mais, je me demande : « Est-ce que ces deux confrères sont toujours engagés à donner un témoignage du travail en équipe et de la vie communautaire ? »
Quand un confrère me dit qu’il a 20 communautés chrétiennes de base dans sa paroisse et qu’il célèbre la messe dans toutes ces communautés, au moins deux fois par mois, je suis sûr que l’Évêque et les fidèles en sont heureux. Mais, je me demande : « Quand est-ce qu’il trouve le temps pour former les leaders laïcs, ou visiter les communautés en dehors des célébrations liturgiques ? A-t-il une idée de ce que ces leaders prêchent et enseignent quand il n’est pas là ? » Plusieurs messes et célébrations liturgiques ne sont pas nécessairement signe de plus de créativité et engagement. Car, cela peut être aussi signe de vouloir se réfugier dans la routine quand on ne sait plus rien faire ou on a peur d’essayer quelque chose de nouveau.
Avoir un « œil pour la mission »
Dans un monde post-vérité, plus que jamais, nous devons avoir un « œil pour la mission ». Nous devons voir et aller vers ces lieux « à l’intérieur et au-delà des limites de nos Églises particulières », où la vérité doit être entendue et témoignée. Dans un entretien donné lors d’une récente réunion des Supérieurs généraux, un des intervenants dit : « La vérité a son propre pouvoir de raviver l’espérance et d’apporter le changement ». J’ajouterais aussi que, la seule façon, pour nous, d’exploiter ce pouvoir et apporter ainsi l’espérance et le changement voulu, consiste à rester engagés. ■