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    DÉRANGE-NOUS, SEIGNEUR !

    Roger Nshono MbanjiRoger Nshono Mbanji, cicm
    Conseiller général

     

    Le 17 juin 2023, au cours de la messe d’ordination sacerdotale d’ un confrère à Batouri, j’ai fait l’expérience du Dieu surprenant. Il ne s’est pas adressé à moi comme Il le fit à Abraham. Pas non plus par l’intermédiaire de l’Ange Gabriel comme ce fut le cas avec la Vierge Marie. Pour moi, ce fut un confrère qui me présenta discrètement le téléphone en murmurant : « C’est le Supérieur général qui souhaite vous parler et c’est urgent…» En mettant le téléphone à mon oreille, celui-ci m'annonce que les capitulants, réunis à Nemi, viennent de m'élire Conseiller général et attendent ma réponse.

    Temps de discernement

    Lors de la formation des formateurs, la notion du discernement, notamment lorsqu’il s’agit de prendre des décisions en conscience dans notre vie, occupe une place de choix. Cependant, il nous arrive d’être comme un chauffeur qui n’a que quelques secondes pour décider face aux obstacles rencontrés sur la route. L’expérience du 17 juin m’a renvoyé à celle des fils de Zébédée : « Aussitôt, laissant leur barque et leur père, ils le suivirent…» (Mt 4, 22). À la différence du conducteur, il y a eu, pour moi comme pour les fils de Zébédée, un temps de discernement. Mais ce discernement a été effectué par d’autres. J’ai donc été amené à faire confiance au discernement de ceux qui se sont réunis au nom du Seigneur. J’ai fait confiance aux capitulants et j'ai répété mon « oui, je le veux ».

    Revenu à la messe pour continuer à écouter l'homélie de l'évêque, le confrère assis à côté de moi s’aperçoit que je viens de recevoir une nouvelle bouleversante. Il me demande : « Un deuil ? » Je dis :  « Non, c’est le Supérieur général…» Après un moment de silence, ayant deviné ce qui se passait, il chuchote quelques paroles apaisantes : « Courage, mon frère, le Seigneur t’accompagnera. » A la fin de la messe, je trouve de nombreux messages de félicitations et d’encouragement. L'un d'eux provenait d'un jeune confrère : « Dérange-nous, Seigneur ! » Il s’agissait d’un confrère qui savait que j'aimais réciter cette prière consignée dans les Actes du 15ème Chapitre général. C’est une manière de me rappeler : « Mon frère, le Seigneur t’a pris au mot. » Pour notre réflexion, j’ai choisi de vous partager la manière dont Dieu fait irruption dans nos vies et vient « déranger » nos plans, nous appelant ainsi à la mobilité missionnaire.

    Formés à la mobilité

    CICM forme à la mobilité missionnaire et à l’esprit sportif. Dans nos communautés de formation, il est difficile de s’installer dans une responsabilité, un apostolat ou une classe. Tout change chaque mois, trimestre, semestre, année. J’ai le privilège d’avoir une idée générale de ce qui se passe dans nos 10 communautés de formation (Pré-noviciats, Noviciats et Théologats). Les formateurs élaborent des programmes qui permettent aux jeunes en formation de faire l’expérience de la mobilité missionnaire. Chaque weekend et pendant les vacances, ils se rendent dans des communautés CICM, des paroisses, écoles, prisons, garages, familles, hôpitaux, pour expérimenter ce qu’ils apprennent à l’école. Ils reviennent souvent heureux de ces expériences.

    Lorsque nous rejoignons CICM pour vivre son charisme, nous sommes conscients des exigences de la mobilité. Pour preuve, bon nombre de confrères ont été formés dans trois ou quatre pays différents, et c'est une grande richesse. Le 16ème Chapitre Général exhorte le GG à poursuivre cette bonne pratique actuelle de vie interculturelle. (Cf. Exhortation 4). Dans la plupart des cas, nous sommes impliqués dans ce processus pour mieux comprendre les mérites d'une telle formation.

    Impliqués et ouverts

    Dans certaines communautés, les formateurs impliquent les étudiants dans le processus de discernement en leur demandant leurs suggestions avant de les nommer. Cependant, les étudiants savent que la décision finale revient aux formateurs et l'acceptent généralement.

    La grille d’évaluation des étudiants du second cycle demande d’évaluer les étudiants sur leur capacité à discerner à partir du point de vue de la communauté, à s’approprier les décisions prises en communauté et à les mettre en pratique. Nous ne serons pas toujours satisfaits des décisions prises sur la base du discernement fait par les autres. L’Art. 32 de nos Constitutions dit ceci : « Par notre vœu d’obéissance nous nous engageons en esprit de foi à obéir aux Supérieurs légitimes, lorsqu’ils commandent selon les Constitutions. Nous reconnaissons qu’il leur revient de prendre les décisions finales. Nous nous engageons, en particulier, à accepter nos nominations au service de la mission confiée à l’Institut. » La Treizième règle des Exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola va plus loin : « Pour ne nous écarter en rien de la vérité, nous devons toujours être disposés à croire que ce qui paraît blanc est noir, si l’Église hiérarchique le décide ainsi (…) » J’admire la manière dont s’organisent les organes de concertation dans notre famille religieuse. C’est une grande richesse à conserver et dont il faut nous servir sans en abuser.

    Sortir de notre zone de confort

    Nous sommes le plus souvent tiraillés entre notre propre volonté et les décisions de nos Supérieurs. Je crois que, l'une des choses qui nous retiennent, est le plus souvent notre peur de quitter nos zones de confort et d'oser explorer de nouveaux sentiers. Les premiers pas sont toujours les plus difficiles. Notre zone de confort est comme un étau. Elle est si puissante que beaucoup d'entre nous se voient empêchés de réaliser leur plein potentiel. Je n’ignore pas qu’il existe certaines circonstances qui peuvent conditionner négativement notre

    « oui » à l’appel de nos Supérieurs pour l’exercice de certaines responsabilités (cas de maladies, le sentiment d’indignité par rapport au respect de la charge à laquelle on se voit appelé, la peur de porter des responsabilités parfois écrasantes…) Le côté tragique de la zone de sécurité est la tendance à nous installer dans la complaisance, de la complaisance à l’ennui et de l’ennui à la destruction de soi et des autres.

    J’admets qu’il n’est pas si aisé de commencer une nouvelle expérience, d’apprendre une nouvelle langue, de vivre dans d’autres conditions climatiques, de s’adapter au nouveau régime alimentaire, de tisser de nouvelles relations humaines, de sortir d’une certaine sécurité matérielle et de réajuster certaines convictions personnelles enracinées en nous. Cependant, sortir de sa zone de confort implique d'apprendre de nouvelles compétences et de développer de nouvelles habitudes. L'acquisition de nouvelles compétences, bien qu’exigeante, renforce notre adaptabilité face à des situations inédites et développe la confiance en soi.

    Avec Abraham, Marie et Théophile Verbist

    En acceptant de devenir membre de CICM, nous nous engageons, à la suite de ceux qui ont, comme Abraham et Marie, osé consentir au « dérangement » du Seigneur, convaincus que Dieu nous brûle sans nous consumer. Le dérangement de Dieu est un chemin qui nous libère. Dieu dit à Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, va vers le pays que je te montrerai (…) » (Gn 12, 1).  Et Abraham obéit. Il reçoit les bénédictions en abondance et devient Père des croyants. Marie se laissa déranger par l’irruption de Dieu dans sa vie par l’annonce de l’Ange. Son « fiat » a fait d’elle la Mère du Sauveur et la bénie entre toutes les femmes. Théophile Verbist a obéi à l’appel de Dieu, quittant sa chère Belgique natale, se confiant en la divine Providence et nous voici bénéficiaires d’une bonne et belle mission CICM. Le Seigneur nous dérange pour nous faire renaître à la vraie vie, nous accompagne de sa présence pacifiante et pourvoit à nos besoins. L’heure a donc sonné d’oser sortir de nos peurs, de nos zones de confort et de nous laisser déranger par le Seigneur.   §

     

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