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    Les forces spirituelles acquises doivent surpasser de beaucoup les forces corporelles

    Charles Phukutapar Adorable Castillo, cicm Vicar
     

    Nous avons célébré dans la joie, le 28 novembre 2022, le 160e anniversaire de la fondation de notre Congrégation et bientôt, le 12 juin 2023, nous célébrerons solennellement le bicentenaire de la naissance de Théophile Verbist, notre Fondateur. Permettez-moi de faire une comparaison entre les débuts et la situation actuelle de notre Congrégation. Je ne mentionnerai qu’un aspect particulier, à savoir la disponibilité de nos ressources financières ainsi que leur gestion. Nous sommes conscients que certains confrères ont manqué de rigueur en matière de gestion financière. Comme il est dit dans les Actes du 15e Chapitre général : « Nous avons observé quelques cas de mauvaise gestion et de fraude financière ».[1] L’une des causes de cette situation malheureuse serait peut-être la disponibilité de ressources suffisantes, voire abondantes, à notre disposition. Certains confrères n’ont pas su les utiliser à bon escient. Ils ont apparemment perdu leur repère moral, ont succombé à la tentation et se sont laissés égarer.

    Dans une lettre (n° 549) adressée au noviciat de Scheut le 20 octobre 1867, Verbist écrit : « Tous les commencements sont difficiles et je sais mieux que quiconque qu’avec la meilleure volonté on ne fait pas toujours ce que l’on voudrait. Dès le début, nous nous sommes trouvés dans des alternatives pénibles... Nous devons songer à fonder une Congrégation solidement vertueuse, si nous voulons atteindre le but que nous nous sommes proposé ... Les forces spirituelles acquises doivent surpasser de beaucoup les forces corporelles. »

    Verbist fit de son mieux pour obtenir des ressources financières suffisantes pour le succès de son aventure missionnaire. Il reçut un soutien financier de diverses sources, telles que la Sainte Enfance, la Propaganda Fide et les catholiques ordinaires d’Europe. Il se lança dans un voyage missionnaire, bien sûr, non sans « nourriture, sac ou argent » (Mc 6, 8). Mais sa plus grande force était sa foi en la Divine Providence. Permettez-moi de citer des extraits de certaines de ses lettres.

    –  Ma grande confiance en Dieu qui m’imposait la Mongolie tout entière me rassurait toujours que les moyens ne m’auraient pas manqué,  Lettre 458

     – Le bon Dieu nous préserve de catastrophes, nos chrétiens sont en permanence à l’église implorant le secours du ciel. J’ai la confiance qu’Il ne restera pas sourd à nos supplications et qu’Il nous enverra au moins de quoi ne pas mourir de faim, Lettre 493

     – Le bon Dieu sait bien que sans argent il n’y a pas moyen de faire son œuvre. Il ne nous le refusera pas,  Lettre 533.

    Aujourd’hui, le défi est de savoir comment tirer une leçon des bonnes actions de Verbist et de ses premiers compagnons, en particulier comment gérer nos ressources suffisantes et les utiliser à bon escient. Comment maintenir une proportionnalité créative ? Verbist a trouvé à juste titre une formule. « Ce qui leur manquait en ressources financières, ils l’ont compensé avec leur foi et leur enthousiasme. »[2] Lorsque les ressources étaient limitées, la foi et l’enthousiasme abondaient. Qu’en est-il de nous ? J’espère que la relation inverse ne sera pas vraie. J’ai fait ici un schéma pour que chaque confrère puisse remplir le vide et prendre à cœur ce défi :

    Autour de 1862 : manque de ressources financières ----une grande foi et un enthousiasme abondant

    Autour de 2023 : des ressources suffisantes-------_________________

    Après plus de 160 ans depuis notre fondation, nous avons construit des infrastructures matérielles importantes pour la Congrégation et rassemblé suffisamment de ressources financières pour nos besoins ad intra et ad extra. Qu’en est-il de nos « forces spirituelles » ? Pouvons-nous nous revendiquer le même  effort aussi louable que celui de Verbist ? Avons-nous assez de foi pour déplacer des montagnes ? Avons-nous le même enthousiasme missionnaire que Verbist et ses premiers compagnons pour faire face aux défis du 21e siècle ?

    Les « forces spirituelles » dont je parle sont les éléments d’une spiritualité missionnaire émergente de CICM. Il semble que la spiritualité signifie simplement participer et multiplier des exercices spirituels comme les prières communautaires, les messes, les dévotions, les récollections et les retraites. Je crois effectivement que toutes ces activités sont nécessaires et importantes pour une communauté religieuse comme la nôtre. Cependant, nourrir une spiritualité missionnaire ne se limite pas à s’engager dans les divers exercices spirituels mentionnés ci-dessus. La spiritualité missionnaire est un mode de vie, une série d’attitudes et de dispositions justes, une vision renouvelée du rôle de l’Église dans le monde et un engagement profond dans la transformation missionnaire de toute l’Église, comme l’a réitéré le Pape François dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium. Un bon nombre de confrères ont déjà écrit des articles et des brochures sur certains aspects de la spiritualité CICM (Pierre Lefebvre, Michel Decraene, Eric Manhaeghe, Jean-Gracia Etienne, et autres). J’ai également essayé d’identifier certains « ingrédients » de la spiritualité missionnaire CICM dans certains articles que j’ai publiés dans Chronica. Je me contenterai d’en énumérer trois et de décrire brièvement chacun d’entre eux.

    La mission ad gentes et ad extra

    En tant que missionnaires ad gentes, nous sommes exhortés à être proches des gens, attentifs à leurs besoins et à être solidaires avec eux, en particulier dans les situations de pauvreté et d’injustice. C’est une expression de la « spiritualité de l’incarnation ». En tant que Congrégation dédiée au Verbe Incarné, nous sommes censés dialoguer avec les cultures et les religions en nous consacrant à la première évangélisation. En tant que missionnaires ad extra, nous sommes exhortés à incarner l’attitude de « mobilité, de disponibilité et de “désinstallation” » telle que décrite dans les Actes du 9e Chapitre général (1981).

    D’une part, la mobilité est la disposition à laisser derrière soi son confort personnel et à mettre de côté ses préférences personnelles afin de relever de nouveaux défis missionnaires. D’autre part, l’immobilité est plus que l’inactivité. Elle implique aussi l’usurpation, car elle suppose une appropriation et une occupation d’un espace qui, le plus souvent, ne nous appartient pas.

    La disponibilité signifie être à l’écoute des « signes des temps » afin d’être au service de la mission universelle de l’Église qui exige que nous allions aux « périphéries » et que nous travaillions en dehors de notre propre zone de confort. Si nous ne pouvons pas laisser notre engagement actuel et que, par conséquent, nous devenons indisponibles pour d’autres tâches, nous risquons de prendre plus d’espace que nécessaire ou de prendre plus de choses difficiles à supporter.

    La désinstallation suppose un détachement du pouvoir ambivalent de l’institution établie, que ce soit dans l’Église ou dans la société. En revanche, l’installation consiste à être fixé ou attaché à un espace, qu’il soit social, politique ou économique. La désinstallation nous rend absolument libres et nous libère de l’attachement démesuré. Pour cette raison même, le détachement est une composante majeure d’une spiritualité missionnaire émergente CICM.

    Esprit pionnier

    Notre Fondateur était un véritable pionnier. Il a dirigé le premier groupe de missionnaires CICM en Mongolie intérieure. Ils n’étaient cependant pas les premiers missionnaires là-bas. Ils ont repris un vaste territoire ecclésiastique qui était d’abord desservi par les Lazaristes. Selon les récits historiques, il y avait déjà un bon nombre de chrétiens et quelques prêtres diocésains ordonnés. Apparemment, ils ne faisaient que poursuivre le travail de leurs prédécesseurs. Bien sûr, ils étaient fils de leur temps. Ils adhéraient à la conception  ecclésiastique officielle de la mission et leur entreprise missionnaire était menée selon les règles établies par la Propaganda Fide. L’une des particularités qui distinguaient Verbist et ses compagnons était peut-être leur « obstination » qu’est une passion particulière, par amour de la mission, pour faire ce qui est le plus difficile. En tant que pionniers, ils apportaient quelque chose de nouveau à la mission de l’Église. En tant que pionniers, ils étaient des précurseurs et des éclaireurs. Ils avaient tracé de nouvelles pistes pour les autres et découvert des sentiers non battus pour les autres. Ils étaient comme Jean Baptiste, le Précurseur, qui avait préparé la voie du Seigneur. Le Fondateur et ses premiers compagnons l’ont fait pour nous, la nouvelle génération de missionnaires CICM - nous sommes leurs « arrière-petits-enfants spirituels ».

    Amanti nihil difficile (Rien n'est difficile pour celui qui aime)

    Ce dicton latin se trouve dans l’une des lettres de notre Fondateur. Cette attitude missionnaire est étroitement liée à l’esprit pionnier de Verbist et ses premiers compagnons. Il semble que la nomination missionnaire dans des pays plus développés soit plus attrayante. Le travail missionnaire dans des centres-ville est préférable à celui dans des périphéries. Seuls quelques-uns osent faire des œuvres de pionniers pour de bonnes raisons. Dans la plupart de nos affiches pour l’animation vocationnelle, nous montrons de belles photos de confrères souriants, heureux et satisfaits de leur travail missionnaire. Si jamais nous montrons un confrère qui gravit une montagne accidentée ou qui traverse une rivière traîtresse, c’est généralement une image mitigée par sa pure aventure et ses sensations fortes préférées par la génération dite millénaire. Il ne pourrait s’agir que d’excellents angles photographiques et de poses pour les selfies.

    La prise de risques est plus souvent assimilée à un sentiment momentané de crainte et d’émerveillement ou à une dose exaltante de poussée d’adrénaline, mais pas exactement aux douleurs, aux agonies, aux sacrifices et aux difficultés de nos missionnaires pionniers dans les arrière-pays abandonnés de la Chine, dans les forêts inhospitalières du Congo et les montagnes accidentées des Philippines. Nous semblons vendre un christianisme agréable et sûr ou un Évangile de prospérité sans la croix. Un christianisme doux qui n’est pas trop exigeant ou un christianisme sans Gethsémani et sans Golgotha est très difficile à vendre et ne peut être qu’un désastre marketing. Comme l’affirme Timothy Radcliffe : « Un tel “marketing” du christianisme est voué à l’échec: avant tout, parce que la spiritualité chrétienne est tout sauf sûre. Une foi apprivoisée trahit ce qui est en son cœur même, à savoir l’aventure de la transcendance. Le christianisme est séduisant parce qu’il nous invite à être audacieux et à donner notre vie sans condition. Il est la porte de l’infini. »[3]

    Alors que nous célébrons le bicentenaire de la naissance de notre Fondateur, nous commémorons également sa mort prématurée. La vie est un continuum significatif de la naissance à la mort. À la mort de Verbist, nous ne pouvons dire que du bien de lui. En effet, Verbist a vécu une vie courte par rapport à la norme de longévité d’aujourd’hui. Il n’avait que 44 ans et a passé à peine 27 mois en mission à l’étranger.[4] Il est mort en Chine, son pays de mission, très loin de sa Belgique natale. Il est certain que le doute et un peu de pessimisme avaient envahi les premiers confrères CICM et leurs bienfaiteurs au pays lorsqu’il mourut prématurément. Il avait l’intention de retourner en Europe après sa dernière visite pastorale « pour donner une orientation finale » à la formation des jeunes missionnaires. Sa mort prématurée a semblé être un coup dur pour la Congrégation naissante. Les mêmes inquiétudes et préoccupations ont habité les autorités ecclésiastiques lorsque les cinq premiers missionnaires de la Société des Missions Africaines (SMA), dont le fondateur Melchior Marion de Brésillac, sont morts en l’espace de six semaines en Sierra Leone après y être débarqués brièvement en 1859. Mais leur congrégation a survécu. La nôtre aussi a fleuri sous la direction du Saint-Esprit. La mort n’a pas eu le dernier mot pour cette congrégation si chère à Verbist.

    La dignité d’une personne ne se mesure pas à sa longévité ni à sa productivité, moins encore à son utilité. Elle se mesure plutôt à sa capacité de plaire à Dieu et de faire Sa volonté. Elle se manifeste dans sa disposition à renoncer à elle-même, à prendre sa croix et à suivre le Seigneur et même à perdre sa vie au nom de l’Évangile. Être disciple est le fondement de la dignité de chacun. La dignité des disciples ne se perd jamais dans la mort, mais elle est au contraire renforcée et exaltée.

    En tant qu’humble disciple de Jésus-Christ, Verbist est mort pour le bien du Maître et celui de l’Évangile. Et sa mort, comme un grain de blé tombé en terre, n’a pas été vaine. Ella a porté beaucoup de fruits. Pour certains, la mort signifie la fin. Pour d’autres, la mort n’est que le début d’une nouvelle vie. Oui, en effet, la mort de notre Fondateur a été le début d’une nouvelle vie pour la Congrégation. Depuis lors, l’héritage spirituel de Verbist a été transmis aux différentes générations de missionnaires CICM. Nous sommes des missionnaires consacrés ad gentes et ad extra. Nous portons en nous l’esprit pionnier de Verbist et ses premiers compagnons. Et nous osons aller, contre vents et marées, là où « l’Évangile n’est pas connu ou vécu ».

    Notre Congrégation a grandi au fil des ans avec des œuvres très diverses et s’est étendue sur quatre continents. Aujourd’hui, nous avons de nombreuses raisons de nous réjouir et de remercier le Seigneur, entre autres, pour le don de la vie de Verbist et pour son dévouement total à la mission jusqu’à sa mort prématurée, et pour toute Sa bonté et Ses bénédictions à l’égard de l’ensemble de notre Congrégation malgré nos défauts et nos manquements.  

     

    [1] Actes du 15e Chapitre général, p. 33.

    [2] Ibid.

    [3] Timothy Radcliffe, Alive in God: A Christian Imagination (London : Bloomsbury, 2019), p. 42

    [4] Verbist et ses premiers compagnons quittèrent Scheut, Bruxelles, le 25 août 1865, arrivèrent à Pékin le 25 novembre 1865 et atteignirent finalement Xiwanze le 6 décembre 1865. Verbist est mort le 23 février 1868 à Laohugou. Voir Nestor Pycke, Théophile Verbist’s Adventure (Louvain: Institut F. Verbiest, 2010), pp. 57–59.


    Appelés et envoyés comme témoins de la foi, de l’espérance et de la charité

    Charles Phukutapar Charles Phukuta, cicm
     

    L’an prochain, nous célébrerons notre 16e Chapitre général ainsi que le bicentenaire de la naissance de notre fondateur, Théophile Verbist. Dans le numéro de juillet-août 2022 de Chronica, Jean-Gracia Etienne introduit une réflexion sur la trilogie, Esprit-âme-corps, que le facilitateur avait présentée aux participants du 15e Chapitre général en expliquant que : « L’âme de la Congrégation ou son cœur est sa capacité d’expérimenter Dieu, d’inspirer et d’animer les peuples, de transformer les membres de ses communautés en disciples de foi, d’espérance et de charité. »1   Cette partie de la trilogie demeure un défi. Par conséquent, au moment de nous préparer au prochain Chapitre général nous avons entrepris une réflexion sur les thèmes de la spiritualité et de la mission, de la réconciliation et de l’interculturalité en nous efforçant de renouveler l’élan apostolique de l’Institut et de nous encourager mutuellement à demeurer fidèles à notre vocation missionnaire religieuse (Cf. Constitutions CICM, art. 110).

    Je voudrais vous inviter maintenant à réfléchir plus profondément sur l’importance de la réconciliation et sur notre fraternité universelle au moment de proclamer et d’être des témoins de l’évangile. La fraternité est un élément constitutif de l’Église et de notre foi. Il n’est pas étonnant dès lors que l’article 2 de nos Constitutions nous indique comment nous devons proclamer et être des témoins de l’évangile.

    Missionnaires religieux de différentes races et cultures, nous vivons et travaillons ensemble comme des frères. “Un seul cœur et une seule âme”, nous témoignons de la fraternité universelle dans le Christ voulue par le Père. Nous sommes signe de la solidarité des églises particulières dans leur mission universelle. 

    L’article 45 ajoute de façon réaliste :

    Nous reconnaissant pécheurs, nous mettons notre confiance en la miséricorde de Dieu et nous répondons à l’appel du Christ qui veut nous réconcilier avec le Père et entre nous. Nous avons régulièrement recours au sacrement de réconciliation et nous faisons les pas nécessaires pour restaurer toute communion brisée.

    En tant que CICM, nous aimons parler de fraternité universelle et de multiculturalité qui répondent à notre désir de communion fraternelle qui se trouve au cœur du message de réconciliation de l’évangile. Pour des missionnaires religieux envoyés à proclamer et témoigner l’évangile, le risque de s’illusionner que le mal est présent à l’extérieur de nous et pas en nous-mêmes existe toujours. Toutefois, nous ne nous comportons pas toujours comme des frères et des enfants d’un Dieu aimant et sommes à l’origine de ruptures entre nous. Par conséquent, nous avons besoin de nous réconcilier régulièrement avec Dieu et les autres ; nous avons besoin de paroles de pardon, source de vie. Lorsque nous devenons conscients qu’il existe une rupture dans notre relation avec un confrère ou quelqu’un d’autre, nous devons aller à leur rencontre, nous excuser ou offrir notre amitié. Lorsque c’est la communauté elle-même qui souffre de telles ruptures, nous sommes invités à assainir la situation.2

    En lisant les différents rapports et réflexions sur le Memo de la réconciliation, je suis conscient que notre cheminement nous oriente vers un renouvellement des relations qui existent entre nous et autrui. Au moment de nous préparer au 16e Chapitre général, j’aimerais vous faire part de quelques réflexions afin de nous aider à répondre harmonieusement à ce grand appel à la réconciliation et à la communion fraternelle pour proclamer et témoigner l’évangile dans notre monde en mutation.

    Le christianisme est la proclamation de l’évangile en tant que message de fraternité universelle. Dans le contexte actuel de mondialisation, nous, chrétiens, devons encourager et diffuser l’esprit d’une fraternité universelle qui transcende toutes les frontières tout en respectant les différences qui existent entre les cultures. Par conséquent, une fraternité en communauté contribue à la proclamation de la bonne nouvelle. Personne ne peut, sous prétexte de raisons apostoliques, se dégager de la vie fraternelle en communauté. Bien au contraire, cela fait partie intégrante de notre engagement à proclamer et témoigner l’Évangile.

    Jésus a raison lorsqu’il nous dit : « Tout royaume divisé contre lui-même devient un désert; toute ville ou maison divisée contre elle-même sera incapable de tenir» (Mt 12, 25).  Malheureusement, parfois nous vivons des frictions qui rendent la réconciliation et le pardon difficiles. Toutefois, ces deux attitudes sont indispensables pour que la vie fraternelle soit à la fois une proclamation et un témoignage bona fide. Le Pape François fait une observation semblable lorsqu’il en parle dans son Exhortation apostolique Evangelii Gaudium (EG).

    À ceux qui sont blessés par d’anciennes divisions il semble difficile d’accepter que nous les exhortions au pardon et à la réconciliation, parce qu’ils pensent que nous ignorons leur souffrance ou que nous prétendons leur faire perdre leur mémoire et leurs idéaux. Mais s’ils voient le témoignage de communautés authentiquement fraternelles et réconciliées, cela est toujours une lumière qui attire. Par conséquent, cela me fait très mal de voir comment, dans certaines communautés chrétiennes, et même entre personnes consacrées, on donne de la place à diverses formes de haine, de division, de calomnie, de diffamation, de vengeance, de jalousie, de désir d’imposer ses propres idées à n’importe quel prix, jusqu’à des persécutions qui ressemblent à une implacable chasse aux sorcières. Qui voulons-nous évangéliser avec de tels comportements ?  (EG, no. 100)

    Il est assez habituel que des conflits éclatent entre membres d’une même communauté. Personne n’est à l’abri des blessures qui rendent la vie en communauté difficile. Pendant nos visites canoniques, nous avons pu observer que de très anciennes blessures qui remontent parfois à des décennies sont encore des plaies béantes. Je reste parfois surpris de constater que d’anciennes querelles perdurent dans certaines communautés. Nous devrions toujours nous demander ce que nous pouvons faire pour trouver une issue. Notre foi chrétienne nous invite à trouver de la force dans l’attitude de Jésus qui, dès que justice et droit ont été respectés, ne propose aucun autre moyen si ce n’est le pardon pour clore le cycle du conflit et des hostilités.

    La fraternité authentique ne peut exister que lorsqu’on donne et reçoit le pardon. Nous parlons ici de cette fraternité qui, malgré les différences, est une expérience d’amour qui surmonte les conflits, car les conflits communautaires sont inévitables. D’ailleurs, d’une certaine manière, ceux-ci doivent exister si la communauté veut vivre sincèrement des relations de confiance authentiques. Rêver d’une communauté sans divergences n’est pas réaliste ni bon. Lorsqu’il ne faut supporter aucun conflit dans une communauté, cela signifie qu’il faut changer et améliorer certaines choses.3

    Seul le bien peut l’emporter sur le mal (Rom 12:22 ; cf. 1 Pi 3:9). Vivre dans une communauté réconciliée et ouverte à la diversité transforme notre interculturalité en témoignage éloquent démontrant que nous sommes capables de vivre comme des frères et sœurs et par conséquent de proclamer et témoigner l’évangile. De nos jours, beaucoup de nos communautés sont riches de sensibilités culturelles et nationales différentes. Les confrères vivent ensemble dans le respect de leurs différences. Toutefois, il nous faut rester vigilants, car la tendance humaine est de créer des frontières pour nous protéger des différences.

    L’appel du Pape est une invitation à examiner notre conscience par rapport à la qualité de notre fraternité et sa capacité de réconciliation. Nos communautés promeuvent-elles et accordent-elles suffisamment de place au pardon et à la réconciliation ? Comment pouvons-nous avoir des communautés où règne la joie s’il n’y a que peu de place pour la réconciliation ? Parfois, nous sommes trop tentés de critiquer librement nos confrères. Sommes-nous conscients qu’une telle attitude qui peut parfois aller jusqu’au dénigrement est une attaque contre la fraternité ?

    Ce temps de préparation au Chapitre général est un moment propice de prière et d’espérance joyeuse. Les célébrations du Chapitre général et du Bicentenaire de la naissance de notre Fondateur nous permettent de nous réapproprier et d’approfondir l’essence de notre charisme, d’écouter ce que les gens attendent d’un missionnaire religieux CICM aujourd’hui, d’évaluer et de discerner notre témoignage, notre proclamation et notre vie communautaire ainsi que de donner une nouvelle vitalité à la congrégation. 

    Pour préparer cette double célébration, recherchons la réconciliation avec la ou les personnes avec lesquelles nous avons une relation difficile ou brisée.   En outre, partout où règne le conflit, une retraite spirituelle de réconciliation pendant le prochain carême 2023, avant le Chapitre général pourrait s’avérer très bénéfique – une retraite facilitée par une personne ressource compétente, capable d’encourager et d’interpeller quiconque reconnaît sa part de responsabilité dans le conflit et de l’exprimer ouvertement dans la communauté et est ouvert à s’engager dans une sincère et authentique réconciliation.

    Le défi que pose la réconciliation est la ténacité. Il faut aider les opposants à continuer à se parler, à s’écouter avec compassion, à se pardonner et à chercher un juste milieu pour trouver la paix sans jamais y renoncer. Comme nous en exhorte saint Paul :

    Puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonnés : faites de même. Par-dessus tout cela, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait (Col 3, 12-14).

    Ne nous lassons pas de faire le bien (Cf. Gal 6, 9). Ne nous laissons pas voler l’idéal de l’amour fraternel  (EG, no. 101)! Et pour finir, je vous souhaite de cheminer en communion vers les célébrations du Chapitre général et du bicentenaire de la naissance de notre Fondateur.   


    Et pourtant, nous sommes pécheurs.
    Nous sommes aussi cause de perturbations
    dans les relations.

    Nous ne nous comportons pas toujours
    en enfants du Dieu d’amour.

    Nous avons régulièrement besoin
    de nous réconcilier avec Dieu
    et avec les autres.

    Nous avons besoin de faire
    l’expérience des paroles de pardon
    qui redonnent vie.

    Constitutions CICM. Commentaire, p. 91

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    1. Quelle Bonne et Belle Mission! Actes du 15e Chapitre général, p.4.

    2. Constitutions CICM Commentaraire. Chapitre I: Notre Institute, 2e Édition, 2007, p. 90-91.

    3. « Réveillez le monde ! 29 novembre 2013, entretien du pape François avec les supérieurs généraux, » in Documentation catholique, n° 2514, p.12-13.


    Odeur, ocytocine, tawas et vie interculturelle

    Jean Gracia ETIENNEpar Silvester Asa, cicm
     

    Les chercheurs ont découvert que les bactéries se développent dans tous les coins et recoins de notre corps. Dans le règne animal, certaines bactéries s’épanouissent autour de l’orifice ou des parties intimes, ce qui explique pourquoi ces parties spécifiques du corps deviennent le centre d’attention des rites d’attachement et d’accouplement. Il est intéressant de noter qu’à l’instar de nos parents, les lémuriens, qui pouvaient se tenir sur leurs deux pieds, nous, les humains, remplissons nos aisselles de bactéries. La glande située sur nos aisselles produit certains microbes avec une odeur particulière qui, dans le cas des lémuriens, les aident à déterminer si un lémurien est issu de la même « conspiration » et s’il s’apparente à eux. Pour nous, les êtres humains, l’attirance pour une autre personne, ou l’absence d’attirance est une question de chimie. En effet, l’odeur de notre environnement personnel, qui peut être retracée jusqu’à nos aisselles, nous lie ou nous sépare.[1] C’est peut-être la raison pour laquelle une personne peut sentir le rafflesia pour vous, mais cette même personne peut être un pot d’albâtre débordant d’huile de bois de santal pour quelqu’un d’autre. Cela pourrait également expliquer pourquoi Adam est attiré par Eve, alors que Steve préfère Job. 

    Il est intéressant de noter que certaines études ont par ailleurs conclu que notre corps humain, plus précisément notre cerveau, est capable de produire de l’ocytocine, une hormone qui joue un rôle important dans notre comportement. L’ocytocine, aussi connue sous le nom d’hormone de l’amour, nous aide à nous sentir proches et connectés aux autres. En d’autres termes, l’ocytocine explique pourquoi les oiseaux de même plumage se regroupent. Cependant, il est important de se rappeler que l’ocytocine ne sert qu’à renforcer nos liens les uns avec les autres. En outre, les recherches sur le comportement des primates ont révélé que les niveaux d’ocytocine augmentent considérablement lorsqu’ils renforcent leur proximité et leurs liens. De même, les couples qui sont affectueux et se bénissent mutuellement par de tendres caresses ont tendance à développer un système immunitaire fort et à vivre plus longtemps et en meilleure santé grâce à une dose élevée d’ocytocine. [2]

    Il est curieux de constater que, même si l’ocytocine nous permet de renforcer nos liens les uns avec les autres, cette même hormone peut également accroître notre animosité envers les autres, les transformant en ennemis. L’ocytocine «incite à la confiance, à la générosité et à la coopération envers Nous, mais provoque un comportement plus désagréable envers Eux (…) »[3] La frontière entre l’amour et la haine est en effet très étroite. Alors, quel est le rapport entre ces études et la Formation initiale CICM et notre vie interculturelle en tant que missionnaires religieux CICM ? Pouvons-nous apprendre quelque chose de ces récentes découvertes scientifiques ? Permettez-moi de répondre à ces questions par une illustration basée sur des expériences réelles.

    Avec sept autres Indonésiens, j’ai passé deux semestres mémorables au Séminaire Maryshore situé dans la ville de Bacolod, Philippines, pour nos études de philosophie. Un jour, nous avons reçu des « tawas »[4] en cadeau. C’était la première fois que la plupart d’entre nous voyaient cette chose qui ressemble à du cristal et se demandaient quoi en faire. Plus tard, nous avons découvert que le tawas est largement considéré comme efficace, entre autres, pour neutraliser les odeurs corporelles aux Philippines. Cette découverte nous a fait comprendre à nous, les Indonésiens, que nos frères philippins tentaient de nous transmettre un message subtil, mais essentiel afin d’aborder la question pertinente de nos odeurs corporelles distinctes. En conséquence, certains d’entre nous ont commencé à utiliser du tawas, tandis que d’autres ont eu recours à des déodorants conventionnels ou se sont contentés de l’alcool.

    Des années plus tard, en tant que formateur, j’ai dû surmonter mon embarras pour aborder la question des odeurs corporelles. Certains membres de la communauté avaient soulevé cette question dans leur « évaluation par les pairs », ce qui nécessitait mon intervention. Contrairement à ma crainte que cela n’offense les parties concernées, mes commentaires soigneusement élaborés ont été accueillis avec enthousiasme.

    En écoutant mon partage, un confrère congolais m’a dit qu’il avait vécu une expérience similaire dans la mission en tant que formateur. Une fois, il a reçu un appel de l’école où nos étudiants étaient inscrits pour leurs études parce qu’un confrère étudiant avait « une odeur corporelle un peu forte ». L’école pensait que le confrère formateur pouvait aider à attirer l’attention de l’étudiant sur cette question. Il a discuté, malgré son inconfort et son embarras, poliment de cette question sensible avec le confrère étudiant et l’affaire a été résolue à l’amiable.

    S’il est vrai que nous avons tendance à être attirés par ceux qui partagent notre chimie, grâce à l’ocytocine, la bonne nouvelle est que notre proximité et nos interactions constantes peuvent, avec le temps, augmenter la production de notre ocytocine positive et celle du lien social. En effet, l’amour n’est pas seulement le fruit d’un coup de foudre et d’un coup d’éclat, mais il se nourrit aussi. Cela devrait être une nouvelle plus que bienvenue pour nous, missionnaires religieux CICM, qui venons de races, de nationalités et de milieux culturels différents. Et oui, chacun d’entre nous a une odeur corporelle distincte.

    Personne n’a jamais affirmé que vivre ensemble dans une communauté serait facile. Personne n’essaye de mettre en œuvre des politiques et des pratiques discriminatoires systémiques malgré nos différences fondamentales. Au contraire, notre vision et nos politiques sont claires comme de l’eau de roche. Appelés par le même Seigneur, nous suivons les pas de notre cher Fondateur, Théophile Verbist, laissant derrière nous notre environnement familier pour proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création dans le Cor Unum et Anima Una. De plus, certaines structures mises en place, comme l’établissement de communautés internationales de formation qui nous permettent d’être proches les uns des autres, même au tout début de notre formation missionnaire religieuse CICM, peuvent réellement augmenter le niveau de notre ocytocine positive. En fait, c’est un moyen efficace d’accepter progressivement les effets secondaires de l’ocytocine. Dans des cas extrêmes, la même hormone d’amitié peut provoquer de l’animosité, qui peut conduire à la haine et à la discrimination raciale. Par conséquent, la formation de communautés de formation et d’équipes pastorales internationales et multiculturelles est nécessaire et importante pour la fécondité de la mission.

    Le défi, cependant, reste que nous devons aller au-delà de la vie internationale et multiculturelle. Réunir différentes nationalités et groupes culturels dans un même espace simplement parce que nous voulons être «multiculturels et internationaux» est insuffisant. Ce n’est que le début d’un voyage. Nous ne pouvons célébrer notre vie interculturelle que lorsque nous pouvons nous interpeller avec délicatesse, nous affirmer et nous enrichir les uns les autres, car nous avons tous été bénis avec quelque chose d’unique. 

    En fait, pour beaucoup de nos frères philippins — et je dois ajouter pour nous Indonésiens — c’était très probablement la première expérience de vie avec des « étrangers » qui sentent différemment. Je suis sûr qu’il n’a pas été facile pour ces séminaristes philippins de trouver des moyens créatifs d’aborder cette question sans nous offenser. Nos frères philippins auraient pu choisir de ne pas interagir du tout avec nous. Au lieu de cela, ils ont choisi de nous accueillir parmi eux. Heureusement, ils ont trouvé la réponse à cette question existentielle dans, entre autres, le tawas. Et il en était de même pour nous, les formateurs, qui étions empêtrés dans cette question délicate. Il serait gênant que nous devions écarter un candidat uniquement parce qu’il a une odeur particulière. Au lieu de cela, nous avons accepté nos propres appréhensions afin de résoudre cette question avec prudence et style. Bien sûr, une telle intervention créative risque d’être perçue comme une manière subtile d’imposer un certain standard de vérité aux autres. Cependant, il faut y voir un effort authentique de la part de certains membres de la communauté de partager la richesse de leur tradition avec ceux qui souhaitent entrer dans leur écurie sacrée, accueillant ainsi un étranger comme l’un des leurs. Après tout,

    Il appartient à notre dignité humaine de rechercher et de partager la vérité. La vérité est le fondement de toute communauté humaine. Les êtres humains s’épanouissent dans la recherche commune de la vérité, comme les poissons dans l’eau et les oiseaux dans l’air. Sans elle, nous périssons et la société se désintègre. Partager ce que je crois être le plus profondément vrai exprime ma croyance en la dignité de l’autre personne.[5]

    Ce qui s’est passé a simplement démontré une telle ingéniosité à partager ce qui est une vérité reconnue et éprouvée par le temps. Espérons que cet acte ingénieux et courageux, motivé par l’hospitalité et le désir sincère d’unité et d’harmonie, nous aidera de manière significative à devenir des missionnaires religieux CICM avertis sur le plan interculturel et ayant « l’odeur des brebis ».[6] 

     

    [1] DW Documentary. “Who lives on our Bodies? A Microscopic Safari.” YouTube Video, March 7, 2022. Who lives on our bodies? A microscopic safari | DW Documentary - YouTube

    [2] DW Documentary. “How does touch affect our mental and physical health.” YouTube Video, April 2, 2022. How does touch affect our mental and physical health? | DW Documentary - YouTube

    [3] Robert M. Sapolsky, Behave, the Biology of Humans at our Best and Worst (Penguin Books, 2017), 389.

    [4] Tawas est également connu sous le nom d'alun de potassium ou simplement d'alun.

    [5] Timothy Radcliffe, OP., “Does Europe Need Missionaries?” dans SEDOS Bulletin 2022, Vol.54, No. ¾, March-April, 15.

    [6] Pape François, Homélie de la messe chrismale en la basilique Saint-Pierre, le jeudi saint 28 mars 2013, en 28 mars 2013 : Messe chrismale | François (vatican.va).


    CICM et la trilogie esprit-âme-corps: un regard rétrospectif et prospectif

    Jean Gracia ETIENNEpar Jean-Gracia Etienne, cicm
    Conseiller général

     

    « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ (1 Th 5, 23) ».

    Un ardent appel au début du 15e Chapitre général de 2017 de la CICM

    Lors de l’ouverture du 15e Chapitre général CICM, le Père Javier Alvarez-Ossorio, SSCC, était invité à animer la récollection qui marquait le début des travaux. Il avait centré ses méditations et exhortations sur le texte biblique cité plus haut. Dans une approche exégétique, le Père Javier avait mis un accent particulier sur la distinction et la fonction de chaque élément de la trilogie esprit-âme-corps. Ensuite, il avait essayé d’appliquer les résultats de cette analyse exégétique sur CICM.

    Il avait suggéré que l’esprit est le charisme de fondation, la formulation des idéaux de la mission, la promulgation des Constitutions et des Statuts de notre Congrégation. L’âme est le cœur de la Congrégation. C’est la capacité à exprimer Dieu, à inspirer et animer les gens, et à transformer les communautés en disciples de foi, d’espérance et de charité. Le corps est l’ensemble des membres de la Congrégation, ainsi que ses différentes œuvres.

    En se basant sur ces considérations, le Père Javier avait invité les participants au 15e Chapitre général et tous les membres de la Congrégation à se pencher, d’une manière particulière, sur l’âme (le cœur) de la Congrégation. Car, selon lui, il ne suffit pas que le corps soit sain et que l’esprit soit vivant. Il est important que les membres de la Congrégation prennent soin de l’âme de cette dernière.1 L’exhortation du Père Javier avait exercé une influence positive sur les capitulaires, sur le déroulement du Chapitre et sur l’ensemble des membres de la Congrégation à travers la publication des Actes du Chapitre. Ces Actes contenaient en effet un résumé du message du Père Javier. Qu’en est-il de ce message environ cinq années après le 15e Chapitre ?

    De la marche de la Congrégation après le 15e Chapitre général

    Durant les cinq années écoulées, sous la mouvance de l’Esprit Saint, nous avons essayé de maintenir et d’entretenir l’esprit, l’âme et le corps de notre Congrégation. Ce qui explique la continuation de sa participation active dans la mission du Christ confiée à l’Église. En effet, les rapports des réunions et des Assemblées des huit Provinces CICM et ceux des visites canoniques aux confrères sur terrain et dans des Maisons de Formation initiale par les membres du Gouvernement général (GG) ainsi que les échos positifs reçus des fidèles du Christ et des évêques là où les membres de la Congrégation sont engagés, témoignent de la vivacité de la Congrégation. Le témoignage des confrères reste toujours à améliorer. Les travaux de la Conférence générale CICM de 2019 nous donnent un aperçu plus général de la situation actuelle de notre Congrégation.

    La Conférence générale CICM: période d’évaluation des orientations du 15e Chapitre général

    Deux années après la célébration du 15e Chapitre général, le GG, selon le vœu de nos Constitutions (art.105,) a organisé une Conférence générale à Santo-Domingo, République dominicaine, du 14 au 28 octobre 2019. Les Supérieurs et les Vice-Supérieurs provinciaux ainsi que les membres du GG de notre Congrégation ont pris part à ces assises. Les travaux de cette Conférence étaient portés sur le suivi du 15e Chapitre. De plus, les participants à cette Conférence avaient  réfléchi sur la mission de la Congrégation, sur la Formation initiale, le célibat consacré, etc. Un temps a été aussi consacré à l’évaluation du fonctionnement de certaines structures internes de notre Congrégation.

    Il a été observé que les confrères ont pris au sérieux les recommandations du 15e Chapitre général dans les rapports  de toutes les Provinces CICM.  Ces rapports étaient honnêtes et sincères et ils reflétaient ce qui a été accompli, ce qui n’a pas été accompli ainsi que les divers obstacles et suggestions. En outre, ces rapports mettaient en exergue le leadership participatif au sein de notre Congrégation. Un bon processus de discernement a eu lieu dans certaines Provinces et dans le GG pour relever de nouveaux défis dans des situations frontières. C’est donc ce processus de réflexion qui a conduit au choix du Malawi comme nouvelle insertion missionnaire. Il a également été observé une prise de conscience accrue de la part des confrères d’être de bons intendants des biens matériels et des finances de l’Institut. Les audits internes et externes effectués dans toutes les Provinces ont favorisé cette prise de conscience.

    De plus, la taxe carbone est devenue une pratique courante partout dans nos Provinces, comme l’a recommandé le 15e Chapitre général. La multiculturalité était également ressentie comme un fait et une réussite dans le leadership à tous les niveaux de l’Institut et dans nos communautés de Formation initiale. Le charisme de l’Institut est pareillement visible dans notre option préférentielle pour les pauvres. Celle-ci est reflétée par l’implication des confrères dans les différents ministères, c’est le cas des ministères auprès des enfants abandonnés, des orphelins, des migrants, des personnes âgées, des toxicomanes, etc.

    Au demeurant, de nouvelles insertions dans la plupart de nos Provinces témoignent l’esprit pionnier de notre charisme devenu partie intégrante de notre vie missionnaire. Somme toute, les participants à la Conférence générale avaient renouvelé leur sentiment d’espoir pour l’avenir. Cet espoir est basé sur les rapports positifs et les projets missionnaires des différentes Provinces. Grâce aux partages durant cette Conférence générale, les participants avaient vu un regain d’espoir pour l’avenir.2

    Les participants à la Conférence générale avaient aussi identifié certaines choses qui sont moins positives et qui demandent une attention particulière. Il est décourageant, par exemple, de constater que certains confrères ne veulent pas changer d’apostolat. Ils préfèrent continuer à vivre dans leur zone de confort et ils ne sont pas disposés à servir la Congrégation lorsque l’on fait appel à eux. La crainte des Supérieurs provinciaux de prendre des décisions difficiles est également troublante, par exemple, la crainte des Supérieurs provinciaux d’appliquer le décret sur le traitement des cas graves de fraude et de mauvaise gestion financière. De plus, il est décevant de voir des confrères en voie de quitter la Congrégation ou ceux qui sont problématiques être envoyés pour faire des études spécialisées. Il est en outre surprenant de voir un nombre limité de confrères actifs sur le terrain malgré une grande présence des jeunes.

    Par ailleurs, les rapports de nos Provinces avaient fait voir aux participants qu’il y a encore du travail à faire en matière d’honnêteté et de vérité et d’engagement comme missionnaires et religieux. Nous devons d’abord prendre conscience des abus sexuels et autres abus ainsi que de leur prévention. Ensuite, il est important de soutenir les projets écologiques et d’animer les confrères à être conscients de la déclaration sur l’environnement. Enfin, nous devons mettre l’accent sur la formation des associés laïcs et animer les confrères à travers des projets missionnaires stratégiques corporatifs et leur rappeler les recommandations, les déclarations et les décrets du 15e Chapitre général.3

    La mission durant la pandémie de COVID-19

    La crise sanitaire provoquée par la COVID-19 a eu un grand impact sur la vie des gens partout dans le monde. Face à cette situation, les membres de notre Institut sont appelés à être des témoins de l’amour de Dieu au milieu de la souffrance et de la mort. Le GG, par le biais de la Commission générale pour la Mission, avait mené une enquête dans nos huit Provinces CICM. Le GG voulait ainsi demander de partager des réflexions concernant l’impact de la pandémie sur les confrères et sur la vie des personnes qui les entourent. L’objectif de cette enquête était de recueillir des propositions sur ce qui pourrait être encore fait au niveau de nos Provinces et au niveau de toute la Congrégation, en tant qu’effort collectif, à long terme.

    De la compilation des réponses reçues, nous avons retenu quelques éléments qui découlent des initiatives des CICM pour mieux faire face à cette réalité. Tout d’abord, nos Provinces CICM avaient mis en place des mesures pour assurer la sécurité et la santé des confrères et des proches collaborateurs. Les confrères ont fait de leur mieux pour suivre strictement les directives et les protocoles sanitaires émis par les gouvernements et les autorités sanitaires de leurs lieux respectifs pour assurer la sécurité de chacun. Dans le souci de participer à l’allègement des souffrances des personnes vulnérables, des confrères ont collaboré avec des organisations religieuses et des Organisations non gouvernementales pour fournir de la nourriture et des fournitures sanitaires. Des mesures ont été également prises afin que les ouvriers et les employés reçoivent la totalité ou la moitié de leur salaire pendant le confinement.

    Les efforts ont été fournis dans les écoles et les paroisses où les confrères travaillent afin de mieux étendre les efforts de secours aux communautés les plus touchées. Les jeunes confrères dans nos Maisons de formation, de leur côté, ont trouvé des moyens d’être créatifs et utiles durant cette pandémie. Dans le souci de continuer à fournir un service liturgique aux fidèles, pendant la période de confinement, des confrères, plus particulièrement ceux qui sont engagés dans la pastorale paroissiale, ont célébré des messes en ligne. Des professionnels des universités et de nos écoles ont été encouragés et soutenus afin qu’ils puissent prodiguer des conseils et un accompagnement psychologique aux personnes souffrant de traumatismes et de stress. Dans certaines de nos Provinces CICM, des confrères ont offert leurs installations comme abri temporaire pour les travailleurs de première ligne comme les médecins, les infirmières, etc. Des confrères individuels et les communautés ont affirmé qu’ils ont vécu d’intenses moments de prière et se sont réalisés davantage de la valeur de la vie communautaire. Enfin, des réunions et autres rassemblements ont été réalisés en utilisant les plateformes telles que Zoom, Skype, Google Meet, etc.

    La pandémie continue sans relâche à affecter des vies humaines. Ainsi, quelques propositions ont été émises afin d’arriver à établir des stratégies à long terme pour faire face à cette crise. Par conséquent, il a été proposé de créer un fonds « COVID-19 » et d’impartir un budget substantiel pour les secours d’urgence, si possible, pour les paroisses et autres entités CICM. Ce qui permettra de continuer à aider les personnes vulnérables qui ont besoin d’aide alimentaire et de soins de santé. La possibilité de continuer à coopérer avec les organisations religieuses, les services gouvernementaux et des Organisations non gouvernementales a été aussi envisagée. Cette coopération aiderait la plupart des personnes qui subissent le poids du ralentissement économique au lendemain de la pandémie en créant des moyens de subsistance alternatifs. Il faut continuer à adopter des mesures adéquates pour protéger les membres vulnérables de l’Institut, en particulier, ceux dans nos maisons de retraite. Et si c’est possible, il importe d’envisager la possibilité de former adéquatement des membres de l’Institut, pour aider des personnes souffrant de traumatismes psychologiques et de stress dus à la pandémie. Il est aussi vivement souhaité d’assurer une formation appropriée des jeunes confrères pour la mission dans le contexte post-COVID-19. Pour finir, il est urgent d’assurer une meilleure gestion des ressources disponibles et de renforcer la solidarité congrégationnelle. Nous souhaitons que des mesures nécessaires soient prises pour concrétiser certaines de ces propositions.

    Nous avons jusque-là essayé de présenter quelques éléments des actions posées par les membres de l’Institut, dans le cadre de la mission, afin de revitaliser l’Institut dans l’esprit de la trilogie corps-âme-esprit. Toutefois, nous ne devons pas oublier l’appel explicite à nous pencher d’une manière spéciale sur l’âme (le cœur) de la Congrégation. Pouvons-nous dire que les confrères ont répondu à cet appel et que le prochain Chapitre général n’a plus besoin de revenir sur cet élément clé de notre trilogie ?

    Trait d’union entre l’appel du 15e Chapitre général et le 16e Chapitre général CICM en préparation

    Nous ne pouvons pas être satisfaits de l’attention qui a été accordée jusque-là à l’âme de la Congrégation. Entretenir l’âme de notre Congrégation est un travail qui ne sera jamais achevé. Ainsi, pour encourager davantage les membres de l’Institut à la fidélité aux vœux de religion, à la prière intense tant individuelle et communautaire, à la contemplation, à la réconciliation, à la vie communautaire et à un nouvel élan missionnaire, le thème suivant a été retenu pour le prochain Chapitre est : « Témoigner de l’évangile dans un monde en mutation». Les trois mémos, qui ont été envoyés aux membres de l’Institut pour la méditation personnelle et communautaire, pour des réflexions et partages en petits groupes en vue de la préparation des Assemblées provinciales et régionales en vue du prochain Chapitre, sont titrés : «Spiritualité et Mission: évangéliser est notre joie » ; « La réconciliation comme don de Dieu et tâche missionnaire » ; «L’interculturalité: un témoignage ».

    Par ailleurs, les contenus de ces mémos n’étaient pas seulement utiles pour la préparation et le déroulement des Assemblées provinciales et régionales.

    Ils doivent continuer à être pour chaque membre de l’Institut un rappel constant à améliorer l’âme (le cœur) de la Congrégation. Dans cette perspective, nous

    aimerions reprendre ici ces mots adressés aux religieux et religieuses de Londres le 29 mai 1982 par saint Jean Paul II :

    La plupart des gens savent ce que vous faites ; ils vous admirent et vous apprécient pour cela. Mais votre vraie grandeur vient de ce que vous êtes. Peut-être ce que vous êtes est-il moins connu et compris. De fait, on ne peut saisir ce que vous êtes qu’à la lumière de la « vie nouvelle » révélée par le Seigneur ressuscité. Dans le Christ, vous êtes une « création nouvelle » (cf. 2 Co 5, 17)… Cette « vie nouvelle » est un don du Christ à son Église.

    Nous espérons que ces paroles pourraient bien nous guider dans nos efforts d’améliorer tous les jours la qualité de notre vie et de notre engagement pour mieux remplir notre rôle comme missionnaire religieux dans ce monde en mutation.  

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    1. Cf. CICM, Actes du 15e Chapitre général, Rome, 2017, p. 11-12

    2. Cf. CICM, General Conference Report, Santo Domingo, 2019,      p. 23

    3. Cf. Ibidem, p. 25.