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    Évangéliser dans un esprit cicm

    Jean Gracia ETIENNEPar Jozef Matton, cicm 

     

    Dans cet article, je veux partager quelques expériences qui ont suscité en moi quelques

    réflexions et questionnements.

    Ces expériences trouvent leur origine dans les évènements des derniers mois, des rencontres personnelles et des visites dans certaines Provinces de notre chère Congrégation.

    La COVID-19

    Nous avons tous vécu pendant plus de deux ans sous la crise sanitaire de la pandémie de COVID-19. Cette pandémie a eu et continue d’avoir un impact significatif sur chacun de nous. Partout dans le monde, de nombreuses mesures restrictives pour freiner la propagation du virus ont été prises afin que notre vivre ensemble dans la société soit aussi sain que possible. Dans nos communautés, surtout celles ayant des confrères âgés et affaiblis, les mesures restrictives ont été également prises. Il a fallu beaucoup de créativité et de flexibilité de la part des confrères et du personnel.

    Certaines mesures ou dispositions spécifiques, qui n’étaient que temporaires dans certaines communautés, restaient définitives, comme l’emplacement des tables dans le réfectoire, la façon dont les repas sont servis à table et le fait de prendre ses repas seul dans sa chambre.

    J’ai également constaté que certains confrères souhaitaient revenir à la situation d’avant COVID-19. Ils estimaient, en effet, que la vie communautaire en souffrait et que les moments de rencontre physique devenaient encore plus limités. Mais, beaucoup d’autres confrères voulaient garder le provisoire comme le permanent. Et pour quelle raison ? Est-ce parce que le provisoire leur convenait le mieux ? Il y a en effet un équilibre à chercher entre la santé physique de chaque confrère et une vie communautaire saine. Là encore, une certaine créativité et une certaine flexibilité s’imposent.

    La COVID-19 a fait découvrir aussi l’application de visioconférence ZOOM. Nous avons tous fait l’expérience que ZOOM peut être un moyen efficace pour des communications, pour des réunions, etc. Par exemple, les sessions de SEDOS (Service of Documentation and Study on Global Mission) par ZOOM ont eu un plus grand nombre de participants de partout dans le monde. Beaucoup de ces participants n’auraient pas pu venir si ces sessions étaient organisées (seulement) en présentiel à Rome à cause du coût de voyage ou encore du problème de visa.

    Mais en même temps, nous avons aussi pris conscience des limites de Zoom. Nous avons tous senti l’importance des rencontres physiques et personnelles. Nous devons chérir nos rencontres personnelles et physiques non pas seulement en Europe, mais probablement ailleurs aussi. Nous avons tous appris comment le confinement a été une expérience pénible et dure pour beaucoup de gens. Heureusement, nous religieux, nous avons une communauté. Nous devons en prendre soin.

    La COVID-19 a eu d’importantes répercussions sur notre Congrégation. Il y a d’abord des confrères qui sont directement ou indirectement décédés de la COVID-19, même dans des pays où l’on prétendait que la COVID-19 n’existait pas.

    Ensuite, la pandémie de COVID-19, avec toutes ses restrictions, a fait que pendant plus d’une année, les membres du Gouvernement général n’ont pas pu voyager pour visiter les confrères dans plusieurs Provinces et pays où CICM est présente.

    Enfin, plusieurs jeunes confrères ont aussi fait une expérience dure. Certains, par exemple, ont dû attendre deux ans avant de pouvoir entrer dans leurs pays de mission. D’autres ne sont même pas parvenus à joindre les pays où ils étaient nommés comme missionnaires. Pour ces derniers, les nominations missionnaires ont été même changées. Cela exigeait beaucoup de patience et d’efforts d’adaptation aux nouvelles réalités. La patience et la créativité ont été nécessaires pour affronter ces nouvelles réalités. Avoir un esprit et une conviction missionnaire a beaucoup aidé dans ce processus d’adaptation. Cette expérience aidera peut-être dans l’avenir quand d’autres défis et difficultés se présenteront et nécessiteront une adaptation. Chers confrères, ne reculons pas devant les défis. Ce n’est pas missionnaire. Ce n’est pas CICM non plus.

    En plus de la pandémie de COVID-19, l’Europe fait face à une autre crise. Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Europe s’est rendu compte que le rêve d’une paix permanente en son sein était une utopie. Quelle horreur en Ukraine ! Des milliers de morts et de blessés des deux côtés ! Aucun appel à la paix n’a été entendu. Quel est le rôle des Églises qui se réclament de chrétiennes ? La religion devrait unir et construire et non pas séparer et détruire. Quel avenir pour l’œcuménisme ?

    Durant ce temps de guerre en Ukraine, nous assistons à des réactions contradictoires en Europe. D’un côté, l’Union européenne réagit en envoyant des armes soi-disant « pour se protéger ». De l’autre côté, elle manifeste une grande solidarité avec le peuple ukrainien. Soudain, de grosses sommes d’argent sont disponibles pour l’aide humanitaire et l’accueil des réfugiés. À la suite de cette attitude de l’Union européenne, d’aucuns se demandent pourquoi une si grande solidarité avec le peuple ukrainien et un quasi-refus d’accueillir les réfugiés syriens et ceux qui viennent d’autres pays ?

    Chacun peut collaborer à la construction

    d’un monde plus pacifique:

    à partir de son propre cœur

    et des relations au sein de la famille,

    dans la société et avec l’environnement,

    jusqu’aux relations

    entre les peuples et entre les États.

     

    Pape François, Message pour la célébration

    de la LVe journée mondiale de la paix. 1er janvier 2022

    Vivre des difficultés

    Au début de cette année, on a découvert que mon cousin avait une tumeur au cerveau. Les médecins lui ont dit clairement qu’il n’avait que six mois à un an à vivre encore, dépendant de la vitesse du développement de la tumeur et de l’efficacité de la chimiothérapie.

    Lorsque je l’ai visité, j’ai été énormément frappé par la sérénité avec laquelle lui et sa femme vivent cette réalité pénible. Je les en ai félicités tout en exprimant mon émerveillement pour la façon dont ils parviennent à vivre cette expérience douloureuse. Après s’être regardé avec sa femme, mon cousin me répondait : « Est-ce que m’énerver ou me rebeller ou bien me laisser aller changerait quelque chose ? Cela ne me ferait pas vivre plus longtemps ni encore moins me guérir. Mais nous devons tous les deux affronter ces moments pénibles. C’est le soutien et l’encouragement mutuel qui nous aident. Nous sommes mariés non seulement pour les beaux moments, mais aussi pour les moments pénibles. » 

    En rentrant, j’étais très pensif. Je pensais surtout à des situations difficiles que beaucoup de confrères vivent parfois. Je pensais aussi à mes rencontres avec des confrères qui recevaient de mauvaises nouvelles concernant leur santé. Je me suis aussi posé la question de savoir comment je réagirais moi-même dans une telle situation.

    Et nous CICM, sommes-nous vraiment frères et confrères les uns pour les autres ? Parvenons-nous à nous soutenir les uns les autres dans un esprit de

    Cor Unum et Anima Una quand nous traversons des moments difficiles ? Notre Cor Unum et Anima Una n’est pas seulement un slogan à imprimer sur des T-shirts, mais une mission à vivre.

    En vue du16e Chapitre général

    L’Assemblée provinciale de la Province CICM de LAC (Latin America and the Caribbean) à laquelle j’ai participé avait pour thème : Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur (Jn 20, 20). Le logo pour cette Assemblée reflétait très bien ce thème. Et c’est avec beaucoup de satisfaction que j’ai pu constater que beaucoup de confrères jeunes et moins jeunes, travaillant dans les différents pays de la Province, sont des missionnaires pleins de joie. Tout en étant réalistes et conscients des défis à relever dans chaque pays, il reconnaissent également qu’une conversion permanente est nécessaire pour chaque membre de la Province de LAC.

    Je voudrais terminer avec quelques mots concernant les mémos en préparation du 16e Chapitre. J’ai entendu quelques commentaires et remarques concernant les trois mémos que le Gouvernement général avait envoyés dans toutes les Provinces CICM afin de faciliter la préparation du 16e Chapitre général.

    Une des remarques était que « les mémos ont une orientation trop ad intra. C’est à peine qu’on voie quelque chose concernant notre “core business,” à savoir la mission. Quelle présence missionnaire aujourd’hui et dans le monde d’aujourd’hui ? » Certainement, ces questions ne sont pas explicitement posées dans les trois mémos. Cependant, je crois, personnellement, qu’il faut lire ces mémos avec la lumière du thème de notre 16e Chapitre général, à savoir, « témoigner de l’Évangile dans un monde en mutation. » Pour moi, le verbe « témoigner» a toute son importance. Il constitue la clé de lecture de tous les trois mémos.

    L’homme contemporain

    écoute plus volontiers

    les témoins que les maîtres

    ou, s’il écoute les maîtres,

    c’est parce qu’ils sont des témoins.

    Paul VI, Evangelii Nuntiandi, no. 41

    Nous sommes tous convaincus et nous le disons avec beaucoup de conviction que le témoignage de vie est l’élément le plus important dans notre vie et dans notre travail missionnaire. J’en suis aussi profondément convaincu.

    Certes, des questions telles que « quel travail missionnaire ? » et « à quel endroit ? » sont des questions importantes. Mais si nous n’avons pas les dispositions missionnaires nécessaires, si nous ne sommes pas vrais dans notre vie missionnaire et religieuse, si nous menons une double vie, quel témoignage pourrions-nous donner, quel que soit l’endroit où nous sommes ?

    Nous devons plutôt oser nous poser les questions suivantes : est-ce qu’évangéliser dans un esprit CICM est encore notre joie ? Sommes-nous là pour la mission ou est-ce que la mission est là pour notre propre profit ? Sommes-nous prêts à nous réconcilier, nous CICM, à plusieurs niveaux de la vie ? Quel témoignage missionnaire donnent deux confrères vivant dans une même communauté sans se parler ? Sommes-nous prêts à vivre et à nous engager dans un contexte interculturel témoignant de l’universalité du salut ? Quels sont nos critères de choix lorsque nous sommes consultés en vue des nominations au sein de notre Province ?

    Je suis convaincu que pour cela il nous faut aussi un renouveau spirituel. De belles structures et beaucoup d’argent ne suffisent pas. Il y a de très grands défis ad intra dans notre Congrégation.

    Honnêtement, il est très douloureux de voir que pour certains confrères, l’ambition personnelle, l’enrichissement personnel, le pouvoir et l’influence sont parfois plus importants que nos engagements communautaires pour la mission et pour une plus grande solidarité congrégationnelle. Nos trois vœux religieux risquent de perdre toute leur valeur et leur inspiration religieuse.

    Pendant l’Assemblée provinciale de la Province de LAC, un jeune confrère me posait, un peu à ma surprise, la question de savoir si j’avais encore l’espoir pour l’avenir de la Congrégation. Certainement ! Pourquoi en douter ? Cependant, l’avenir de la Congrégation ne dépendra pas seulement des Supérieurs à tous les niveaux de la Congrégation, mais aussi de chacun de nous. Chacun de nous a sa responsabilité malgré nos faiblesses. De belles structures et des moyens financiers ne sont que secondaires.

    Je vous souhaite tous un engagement missionnaire enthousiaste. Priez pour la réussite du prochain Chapitre général de notre Congrégation. Nous sommes tous « participants. » Cor unum et Anima una.


    Dérange-nous, Seigneur

    Jean Gracia ETIENNEPar Adorable Castillo, cicm 
    Vicaire général

     

    Cette prière de feu l’évêque Desmond Tutu qui figure dans les Actes du 15e Chapitre général a pour but d’inspirer les confrères CICM à continuer à rêver et à espérer une mission pionnière, audacieuse et créative. Nos Constitutions disent que le Chapitre général qui se tient régulièrement « vise à renouveler l’élan apostolique de l’Institut et à encourager ses membres dans la fidélité à leur vocation missionnairereligieuse» (Art. 110). Permettez-moi d’apporter mon grain de sel à cette réflexion en cours alors que nous préparons le 16e Chapitre général et que nous voulons renouveler notre engagement envers la mission universelle de l’Église.  

    Un authentique renouveau missionnaire présuppose une conversion, à la fois personnelle et communautaire. Comme dans le cas de personnages bibliques éminents, la conversion se produit de différentes manières, parfois de façon bizarre, concomitantes à des événements inattendus.

    Jonas est appelé par Yahvé à prêcher la conversion aux Ninivites, mais il refuse continuellement et prend délibérément la fuite. Naufragé et jeté à la mer, il fut finalement avalé par une baleine et dans le ventre de celle-ci il devint malgré lui un missionnaire.

    Frustré, épuisé et effrayé, Élie fut nourri par des corbeaux et une veuve. Et sur le mont Horeb, le Seigneur lui est apparu non pas dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu ; mais dans le murmure d’une brise légère.

    Simon, le pêcheur chevronné de Capharnaüm, a été impressionné par une pêche miraculeuse et est devenu un disciple de Jésus. Et plus tard, le chant du coq proverbial lui a rappelé non seulement son grand péché, mais aussi la grande miséricorde de Dieu.

    Saul de Tarse était un pharisien zélé, un défenseur acharné de la Torah, et un persécuteur reconnu des chrétiens. Sur le chemin de Damas, il est soudainement tombé et un éclair de lumière l’a rendu aveugle. C’est une expérience de conversion à ne pas négliger, car elle a changé le cours de l’histoire du christianisme.

    Des événements bizarres couplés à des occurrences naturelles et cosmiques telles que des éclairs, des prises miraculeuses, le chant du coq et des tempêtes turbulentes sont des occasions de perturbation, de dissonance et de rupture qui jouent un rôle crucial dans toute expérience d’une conversion. Puisse cette prière nous conduire à la conversion.

    Dérange-nous, Seigneur,

    lorsque nous sommes trop satisfaits de nous-mêmes,

    lorsque nos rêves se réalisent

    car nous avons rêvé trop peu,

    lorsque nous sommes arrivés en toute sécurité

    car nous avons navigué trop près de la rive.

    Lors d’une récente cérémonie de profession des vœux perpétuels, j’ai adressé ce message aux confrères concernés : « Cette profession perpétuelle signifie-t-elle avoir les droits et privilèges inviolables dont jouissent tous les membres profès perpétuels de la CICM ? Cela signifie-t-il un “droit” perpétuel ? Pas du tout. Elle signifie plutôt un service perpétuel au peuple de Dieu et un engagement durable dans la mission que le Seigneur nous a confiée ». Sommes-nous trop satisfaits de nous-mêmes lorsque nous avons enfin réussi à prononcer les vœux définitifs et à être ordonnés aux ordres de diacre et de presbytre ? Nos rêves se sont-ils réalisés lorsque nous jouissons enfin des droits et privilèges inviolables d’un CICM profès perpétuel et avons acquis l’honneur et la dignité d’un ministre ordonné ? Sommes-nous arrivés à bon port, « en naviguant trop près de la rive », lorsque nous préférons nous contenter de notre environnement confortable et familier ?

    Dans Evangelii Gaudium (n° 20), le pape François nous exhorte à accepter l’appel de « sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile.» Notre confort n’est pas seulement notre environnement familier et confortable. Elle comprend également le fait d’être prisonnier de théologies non actualisées, de méthodes missionnaires dépassées et de vieilles « habitudes du cœur. »1  Nous sommes mis au défi «de passer du mode d’entretien à un nouveau paradigme missionnaire ».2 Avec les maigres ressources dont il disposait, Théophile Verbist rêvait « grand ». Il rêvait d’une mission en Chine. Il est mort après seulement 27 mois dans l’une des missions les plus difficiles dans l’arrière-pays de la Chine, sans voir les fruits de son travail. Après 160 ans d’existence comme congrégation missionnaire, faisons un test de réalité. Le pape Jean-Paul II, dans son encyclique Redemptoris Missio (no 33), identifie 3 situations missionnaires : (1) les endroits où l’Évangile n’est pas encore connu, (2) les jeunes églises qui ont besoin de soins pastoraux, et (3) la « situation postchrétienne », notamment en Europe. Il va sans dire que plus de 80 % de notre personnel missionnaire actif se trouve dans la situation n° 2. Alors que nous effectuons un travail pastoral dans de nombreuses églises locales en Afrique, en Asie et dans les Amériques, nous sommes à peine présents dans les situations no. 1 et no. 3. Aujourd’hui, notre Congrégation est confrontée au défi clair et actuel de passer de la situation n° 2 aux situations n° 1 et n° 3.

    Dérange-nous, Seigneur,

    Lorsque, avec l’abondance de choses dont

    nous disposons,

    nous avons perdu notre soif d’eau vive;

    après être tombés amoureux de la vie,

    nous avons cessé de rêver de l’éternité,

    et dans nos efforts de construire une nouvelle terre,

    nous avons laissé baisser notre vision du nouveau Ciel.

    Selon un récent numéro du magazine Forbes, « un nombre record de milliardaires, environ un nouveau toutes les 17 heures, a été créé pendant la pandémie de COVID-19. »3  Les milliardaires naissent dans les bons et les mauvais moments. Alors que 6 millions de personnes sont déjà mortes et que de nombreux autres millions souffrent depuis l’apparition de la COVID-19, notamment dans de nombreux pays en développement, les milliardaires réussissent bien pendant la pandémie. Notre propre portefeuille de placements a enregistré des rendements records. « C’était en effet une année fantastique ». Ce résultat positif nous assurera plus ou moins la subsistance pour nous-mêmes et pour notre travail missionnaire pour les prochaines années à venir. Alors que nous nous réjouissons et félicitons nos gestionnaires des investissements pour un travail bien fait, ne devrions-nous pas penser davantage à partager généreusement nos ressources et à travailler en étroite collaboration avec ceux qui ont été gravement touchés par la pandémie actuelle ?

    L’une des grandes leçons tirées de la pandémie de COVID-19 est la « mondialisation de la solidarité ». Nous ne sommes peut-être pas « infectés, mais nous sommes tous affectés ». Nous sommes tous membres d’une même espèce appelée Homo sapiens. En tant qu’Homo sapiens, nous sommes les plus performants parmi les espèces de primates grâce à notre cerveau. Cependant, nous sommes également les plus dangereux, car, en tant qu’espèce, nous sommes capables de tuer, et pire encore, de planifier un génocide.4 De même, nous sommes capables de détruire notre propre environnement naturel. Notre intelligence s’avère être « notre faiblesse ». Elle est la source de la violence, de la manipulation et de l’autodestruction. Inversement, en tant qu’espèce, nous survivons avec plus de succès que les dinosaures, non pas grâce à notre « plus gros cerveau », mais grâce à notre plus grand « cœur ». Matthew Fox5 a un jour soutenu que la « bénédiction originelle » est « plus originelle » que le « péché originel ». Les êtres humains sont « bénis » dès le départ, car contrairement au principe de « la survie du plus apte »6, nous sommes dotés d’un « cœur plus grand » pour prendre soin des plus faibles et des plus vulnérables. C’est ce qu’enseigne la Bible (et le Coran, d’ailleurs) : aimer son prochain. Les êtres humains sont capables de se donner et de se sacrifier. C’est ce genre de moralité qui a permis à la toute jeune communauté des disciples de Jésus de survivre et de s’épanouir en tant que communauté de croyants au milieu de la domination de la Rome païenne.

    Il y a deux mille ans, le christianisme était une minuscule et insignifiante secte juive en marge de l’Empire romain. Plusieurs vagues d’épidémies avaient été enregistrées pendant l’apogée de l’Empire romain. Des milliers de personnes, voire des millions, sont mortes de maladies infectieuses inconnues. Selon le sociologue Rodney Stark7, de nombreux chrétiens étaient également morts, mais un nombre considérable d’entre eux avaient survécu à l’épidémie. Alors que beaucoup se s’étaient enfuis et étaient allés dans un havre plus sûr, les chrétiens étaient restés dans la ville. Ils avaient pris soin des malades et avaient enterré les morts, tout en faisant preuve de beaucoup de compassion et de solidarité envers les survivants. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la survie était le produit indirect des valeurs chrétiennes d’abnégation et de sacrifice de soi. Un bon nombre de chrétiens qui avaient pris soin des malades avaient acquis une certaine immunité contre la maladie et avaient finalement survécu. Avec le recul, nous pouvons conclure que les chrétiens avaient survécu non pas parce qu’ils étaient forts, en bonne santé et en forme, mais parce qu’ils avaient pris soin les uns des autres.

    Au lendemain de la pandémie de COVID-19, nous devrions être « perturbés » à la fois par le « résultat fantastique » de nos « gains » et par la « perte énorme » de vies et d’opportunités économiques de millions d’êtres humains dans le monde. Notre Institut missionnaire a commencé lorsque le Fondateur s’est lancé dans la fondation d’un « nouveau Ciel et d’une nouvelle Terre » dans la mission lointaine de Chine, malgré les contraintes financières et les maigres ressources. Rappelons-nous ce passage des Actes du 15e Chapitre général :

    Ce qui leur manquait en ressources financières, ils l’ont compensé avec leur foi et leur enthousiasme. Verbist, dans sa lettre du 20 octobre 1867, a écrit : « les forces spirituelles acquises doivent surpasser de beaucoup les forces corporelles. » L’exemple de Verbist et des premiers missionnaires en Chine nous rappelle que c’est précisément quand nous sommes faibles, petits, avec des ressources limitées, que nous témoignons tous de la puissance de Dieu quand nous réalisons la mission. 8

    Dérange-nous, Seigneur,

    Afin d’oser plus hardiment,

    de nous aventurer en mer plus large,

    là où les tempêtes nous révéleront ta majesté;

    Quand, perdant de vue la terre,

    nous trouverons les étoiles.

    Nous te demandons de repousser

    les horizons de nos espoirs,

    et de nous propulser vers l’avenir,

    avec force, courage, espérance et amour.

    Le 15e Chapitre général a déclaré explicitement que « la perte de “l’esprit de pionnier” est un obstacle majeur pour commencer quelque chose de nouveau. »9   Comme l’affirmé André De Bleeker, il n’est pas trop tard pour retrouver notre esprit de pionnier :

    Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est que les CICM entreprennent ce que peu sont prêts à faire — être des pionniers. Les pionniers abandonnent le statu quo et créent une « nouvelle normalité ». Les pionniers ont un feu au fond du cœur qui les pousse à partager la Bonne Nouvelle dans des situations exigeantes et difficiles… Notre mémoire rejoue notre passé, mais notre imagination prépare notre avenir. Nos pionniers ont dynamisé l’imagination de milliers de confrères. Puissent nos imaginations inspirer les confrères à entreprendre un travail de pionnier une fois de plus dans ce siècle. 10  

    Que les souvenirs des pionniers CICM «rejouent» notre passé. Après que le Fondateur et ses quatre compagnons se soient aventurés en Mongolie intérieure, quatre confrères conduits par Albert Gueluy sont partis pour la mission du Congo (aujourd’hui République démocratique du Congo [RDC]) en 1888. Ils ont parcouru d’énormes distances en utilisant les moyens de transport disponibles à travers des rivières périlleuses, des forêts épaisses et des terrains inhospitaliers pour prêcher l’Évangile aux populations autochtones d’Afrique centrale. Neuf confrères CICM menés par Peter Dierickx ont débarqué aux Philippines en 1907 et ont choisi de se rendre sur un vaste territoire dans la région montagneuse du nord de Luzon pour prêcher l’Évangile aux tribus non évangélisées des Cordillères. De nombre CICM néerlandais ont été les pionniers du travail missionnaire parmi les Torajas en Indonésie. Jerry Galloway a consacré toute sa vie et son expertise médicale au service des populations autochtones dans les forêts de Mai-Ndombe, en RDC. Depuis de nombreuses années, les confrères CICM travaillent en étroite collaboration avec les personnes marginalisées aux États-Unis telles que les Afro-Américains, les Amérindiens et les migrants hispaniques. Les confrères du Brésil se sont aventurés dans les territoires des autochtones dans la région amazonienne. En 1992, trois missionnaires CICM ont fondé de toutes pièces la mission catholique dans le vaste territoire de la Mongolie. Au Guatemala, des confrères se sont engagés dans l’apostolat missionnaire auprès de la population autochtone à Cobán et ailleurs. En Belgique, une communauté multiculturelle CICM fait de l’apostolat missionnaire dans une zone urbaine de Deurne, à Anvers. Le district d’Indonésie a récemment commencé un ministère pastoral parmi la population autochtone de Kalimantan. Le Gouvernement général actuel a décidé à l’unanimité de lancer une nouvelle entreprise missionnaire au Malawi. Les quatre premiers missionnaires CICM y sont arrivés au cours du dernier trimestre de 2020.

    Laissons notre imagination «préparer» notre avenir. Sommes-nous prêts à militer pour le bien des Batwas et d’autres tribus autochtones en RDC ? Sommes-nous prêts à travailler parmi les Dumagats de la Sierra Madre, les Aetas du centre de Luzon, ou les Lumads de Mindanao ? Sommes-nous assez audacieux pour accepter le défi du prélat de Marawi aux Philippines de nous impliquer à nouveau dans le dialogue islamo-chrétien ? Sommes-nous prêts à « planter notre tente » parmi les personnes sécularisées en Europe ? Sommes-nous assez audacieux pour répondre à nouveau à l’appel du Pape François d’aller aux périphéries de l’Amazonie en Amérique du Sud ? Sommes-nous capables de mettre à profit les nouvelles technologies de l’information et les médias sociaux pour l’évangélisation ? Sommes-nous présents dans les nouveaux aréopages11, les espaces culturels du monde post-chrétien et post-sécularisé qui ont besoin d’être imprégnés par l’Évangile ?

    Peut-être, la perturbation, la rupture et la dissonance qui se manifestent dans notre existence quotidienne peuvent-elles nous conduire à la conversion. Que l’Esprit du Seigneur nous guide dans nos efforts pour devenir des témoins fidèles de l’Évangile dans un monde en mutation.   

    ____________

    1 L’expression “habitudes du cœur”, en anglais “habits of the heart”, vulgarisée par Robert Bellah, est empruntée à la Democracy in America d’Alexis de Tocqueville. Elle désigne simplement la somme des idées, opinions et notions qui façonnent nos habitudes mentales.

     2 Actes du 15e Chapitre général, p. 15.

     3 “La 35e liste annuelle des plus riches du monde établie par le magazine a atteint le chiffre sans précédent de 2 755 milliardaires, soit 660 de plus qu’il y a un an, dont la valeur totale s’élève à 13 100 milliards de dollars US, contre 8 000 milliards de dollars US dans la liste de 2020. 63 autres femmes sont devenues milliardaires, ce qui porte le total à 328. En tant que groupe, les femmes de la liste ont une valeur de 1,5 trillion de dollars US, soit une augmentation de près de 60 % par rapport à l’année dernière.” (www.dw.com › en › forbes-a-new-billionaire-every-17hours.)

     4 Voir Jared Diamond, The Rise and Fall of the Third Chimpanzee (Sta. Fe, NM: Radius, 1991).

     5 Voir Matthew Fox, The Original Blessing: A Primer in Creation Spirituality (Santa Fe, NM: Bear, 1983).

     6 Cette expression a été inventée par Herbert Spencer en 1864, après avoir lu l’ouvrage de Charles Darwin intitulé « On the Origin of Species».

     7 Voir Rodney Stark, The Rise of Christianity: How the Obscure, Marginal Jesus Movement Became the Dominant Religious Force in the Western World in a Few Centuries (San Francisco, CA: Harper, 1997).

     8 Actes du 15e Chapitre général, p. 33.

     9 Ibid., p. 13.

    10 “Pioneering Spirit in CICM: Brief History and Future Perspective,” unpublished paper delivered on November 6, 2018, dans the meeting of the General Committee on Mission, p. 7.

    11 Voir Redemptoris Missio, no. 37.


    Vers le 16e Chapitre général

    Jean Gracia ETIENNEpar Charles Phukuta, cicm 
    Supérieur général

     

    Convocation du Chapitre général

    Il y a quelques mois passés, j’ai envoyé une lettre à tous les confrères en vue de présenter le thème de notre 16e Chapitre général prochain. Cette lettre amorce ainsi le processus de préparation de ce Chapitre général qui se tiendra au Centro Ad Gentes, Rome, Italie, du 4 au 30 juin 2023. En ce mois de février, la lettre de convocation du 16e Chapitre général a été envoyée à tous les Supérieurs majeurs de la Congrégation. Cependant, la préparation et la célébration du Chapitre ne sont pas exclusivement une affaire des Supérieurs majeurs. Nous sommes tous invités à nous impliquer et à contribuer à son succès. Mais qu’est-ce qu’un Chapitre général ? Pourquoi est-ce si important ? Comment est-il lié à toute l’Église et qu’est-ce que cela a à voir avec vous ?


    La tenue des chapitres généraux dans les congrégations religieuses

    Tenir des chapitres généraux dans les congrégations religieuses est une pratique ancienne qui tire son origine de la vie monastique. Cela remonte au 6e siècle lorsque saint Benoît rassemblait les moines dans son monastère chaque semaine en vue de lire et d’examiner un chapitre de la Règle bénédictine. Benoît tenait à ce que l’opinion de chaque moine soit entendue. La salle où ils se rencontraient est devenue la salle du chapitre, et les rassemblements eux-mêmes ont été appelés chapitres. Au fur et à mesure que le nombre de monastères bénédictins augmentait, la pratique voulait que les représentants des différents monastères se réunissent pour une

    lecture et une discussion similaire. Au début du XIIIe siècle, les autorités ecclésiastiques ont déclaré que le rassemblement de représentants pour revoir leur vie était obligatoire pour toutes les congrégations religieuses.

    Au cours des siècles qui suivaient, la participation aux chapitres généraux s’est limitée à ceux qui occupaient des postes de direction. Ce n’est qu’après le Concile Vatican II (1962-1965) que le style et les résultats des chapitres généraux ont changé de manière significative. Ces derniers temps, il est d’usage que tous les membres d’une congrégation soient impliqués dans les étapes de préparation du chapitre. Ils ont le droit d’envoyer des souhaits et des suggestions dont le chapitre devra tenir compte. Un ami m’a dit : un chapitre général est comme une grande réunion de famille, ou comme un conclave (papal) sans fumée blanche. Il consiste en une série de réunions au cours desquelles les représentants de toute une communauté religieuse discutent sur des aspects importants de leur mode de vie et prennent des décisions déterminantes.


    Le Chapitre général dans nos Constitutions

    L’article 110 de nos Constitutions stipule : « Le Chapitre général vise à renouveler l’élan apostolique de l’Institut et à encourager ses membres dans la fidélité à leur vocation missionnaire religieuse ». Notre vie et notre mission présentes doivent être transformées par la puissance de l’Esprit Saint ; animées de la même ardeur avec laquelle nos prédécesseurs se sont laissé imprégner. Sans cette ardeur missionnaire et cette capacité de renouvellement, la Congrégation ne saurait être fidèle à sa mission.

    Dans ce sens, à l’occasion de notre 16e Chapitre général, nous sommes invités à réveiller notre charisme spécifique et à reprendre notre chemin avec courage.1 Nos Constitutions précisent le cadre pour parvenir à cet objectif. Le Chapitre général évalue la situation de l’Institut. Il s’efforce de reconnaître les besoins missionnaires du monde (voir). Considérant l’état de la Congrégation, le Chapitre s’efforce de reconnaître les besoins missionnaires du monde et les exigences concrètes posées à l’Institut par ces besoins (discerner). Le Chapitre général aura également la tâche de formuler les directives adéquates et prendre les décisions nécessaires (agir) sur base du résultat de notre processus de discernement.2

    Ainsi, toute la Congrégation se confronte à la Parole de Dieu et aux exigences de l’Évangile, notre objectif missionnaire et les défis du monde, les attentes des hommes et des femmes de notre temps, et les aspirations de nos confrères. Deux attitudes sont cruciales dans ce processus, à savoir : la disponibilité et la collaboration pour faire fructifier les inspirations et les projets de l’Esprit.

    Beaucoup d’entre nous pourraient facilement être tentés de dire : « le Chapitre n’est pas mon problème ; c’est l’affaire des Provinciaux et des délégués ». Cependant, la préparation et le succès du Chapitre ne sont pas réservés à eux seuls. Chaque confrère doit s’impliquer et contribuer à sa réussite. La participation de tous les confrères à la préparation rend le Chapitre représentatif de l’ensemble des membres de la Congrégation (Const., art. 109).

    Nos Constitutions et autres documents décrivent qui nous sommes, notre mission, et comment la remplir. Cependant, notre expérience vécue n’est pas toujours en harmonie avec les idéaux de nos documents. Par conséquent, le Chapitre général n’a pas à se consacrer à l’analyse de notre vision CICM. Il doit s’interroger à partir des faits de notre vécu. En plus des sujets essentiels tels que la Formation initiale, les Finances et le Leadership religieux, nous vous avons envoyé trois mémos centrés sur certaines situations qui méritent une attention particulière : Spiritualité et Mission,

    Réconciliation comme don de Dieu et tâche missionnaire, et Interculturalité : un témoignage. Notre réflexion sur ces situations a conduit les participants à la réunion spéciale du Gouvernement général à choisir le thème Témoigner de l’Évangile dans un monde en mutation pour notre 16e Chapitre général.

     

    Le 16e Chapitre général: un événement spirituel

    Comme je l’ai dit au début de cette réflexion et dans ma lettre de convocation, le 16e Chapitre général est un événement spirituel. Dès lors, la première action à entreprendre est la prière : réunis autour de Marie, en prière, attentifs à la voix de l’Esprit (Ac 1,12-14 ; 2,1-4). Laissons-nous inspirer par l’attitude de notre Patronne, la Bienheureuse Vierge Marie. La confiance, la solidarité fraternelle et l’ouverture d’esprit nous aideront à atteindre le but du Chapitre général : « renouveler l’élan apostolique de l’Institut et à encourager ses membres dans la fidélité à leur vocation missionnaire religieuse » (Const, art. 110).

    Le 16e Chapitre général est pour nous un temps pour raviver le feu du charisme originel CICM et rechercher honnêtement la volonté de Dieu pour l’avenir de notre mission CICM. Ainsi donc, dans notre préparation, nous devons réfléchir honnêtement sur la façon dont nous vivons les aspects de notre charisme, ainsi que notre spiritualité et notre mission CICM; comment nous faisons connaître l’amour miséricordieux de Dieu à nos frères et sœurs auxquels nous sommes envoyés. En d’autres termes, le Chapitre général est un moment pour nous demander : qu’est-ce que Dieu nous demande à nous CICM en ce moment dans l’Église ? Qu’est-ce que le peuple de Dieu nous demande à nous CICM aujourd’hui ? Qui sont les pauvres aujourd’hui ? Que veut dire l’évangélisation dans l’Église aujourd’hui ?

    Alors que nous nous préparons pour le Chapitre général, puissions-nous continuer à témoigner de l’Évangile par l’intégrité de notre foi et la sainteté de notre vie. Alors que nous recherchons l’esprit et le cœur de Dieu, nous prions humblement, par l’intercession du Cœur Immaculé de Marie, que notre Chapitre soit une œuvre profonde de l’Esprit Saint et qu’il change la vie de chacun de nous.

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    ___________________

    1 Redemptoris Missio, no. 66.

    2 CICM, Constitutions. Directoire commun, Rome, 1988, art. 110.


    L’imagination morale : de l’internationalité et de la multiculturalité à l’interculturalité

    Jean Gracia ETIENNEby Silvester ASA, cicm 
    Conseiller général  

     

    « L’imagination morale » est employée dans le cadre de la consolidation de la paix et de l’organisation communautaire depuis 2005. John-Paul Lederach, une autorité de renommée mondiale en matière de construction de la paix, définit l’imagination morale comme la « capacité d’imaginer quelque chose d’ancré dans les défis du monde réel, mais capable de donner naissance à ce qui n’existe pas encore ».1 Selon Lederach, la capacité innée de tisser une toile de relations inclusives est essentielle pour réaliser la paix dans un environnement pacifique.2 Il affirme en outre que l’imagination morale se révèle dans l’audace et la fidélité créative, qui contribuent de manière significative au succès des processus de consolidation de la paix et de changement.3 L’imagination morale est également un art des réseaux et de la collaboration, combiné à l’optimisme, la patience, le courage, la fidélité créative et la prise de risque. Il est surprenant de constater qu’en tant qu’art, l’imagination morale permet à la sérendipité de jouer un rôle clé.4  

    L’imagination morale est essentielle pour établir et maintenir la paix. Mais, je crois que nous pouvons tirer profit du merveilleux travail de Lederach et nous approprier l’imagination morale dans notre quête d’une vie communautaire plus constructive. On peut à juste titre se demander comment cela concerne la vie communautaire CICM. Je propose que nous examinions les termes d’internationalité et de multiculturalité qui sont couramment utilisés dans notre langage quotidien depuis des décennies pour répondre à cette préoccupation. Le fait que nous soyons issus de nombreuses nationalités et groupements culturels démontre que nous sommes internationaux et multiculturels. Cela est dit explicitement dans le 1er article des Constitutions CICM qui stipule que « la Congrégation est un Institut missionnaire religieux international. » En 2010, le Gouvernement général (GG) de la CICM a publié un document intitulé « Directives pour la Vie Multiculturelle en CICM ». Le GG espérait que ce document deviendrait « un outil qui aidera tous les confrères à mieux vivre ce don du caractère multiculturel dans notre chère Congrégation ».5 En outre, le 15e Chapitre général de la CICM a proposé « notre fraternité universelle et multiculturelle » comme un moyen efficace d’animation des vocations.6 Aussi, en nommant les Formateurs dans les Communautés de Formation initiale, l’actuelle GG tient compte de l’internationalité et de la multiculturalité. 

    L’internationalité et la multiculturalité sont sans aucun doute devenues partie intégrante de notre vie quotidienne. Cependant, il en va peut-être de même dans tous les autres endroits de la planète. Lorsque vous entrez dans un aéroport comme le O’Hare de Chicago, vous êtes entourés de personnes internationales et multiculturelles. Certes, nous ne pouvons pas exclure la possibilité qu’une rencontre intime ait lieu dans un tel cadre public. Toutefois, sans vouloir porter de jugement sur qui que ce soit, nous pouvons estimer que les contacts entre les personnes dans un tel espace sont généralement superficiels. Par exemple, vous pouvez prendre une tasse de cappuccino dans un Starbucks de l’aéroport international O’Hare sans avoir à vous demander si les grains de café sont issus du commerce équitable. Le symbole de l’amour, par contre, est bien visible sur la surface de votre cappuccino. Vous n’avez pas non plus le temps de vous demander si la personne qui vous sert un café aussi riche est un Lakota ou un immigrant d’Amérique latine, d’Europe ou d’Asie qui a par hasard vécu dans le quartier sud de Chicago, ou « une maigre jeune fille noire, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire ».7  

    Mais si vous vous interrogez sur la situation sociale des individus que vous rencontrez et que cela vous conduit à une toute nouvelle façon de comprendre la réalité et vous incite à vous comporter avec empathie et compassion, vous venez peut-être de franchir le seuil de l’interculturalité grâce à votre imagination morale. On peut vivre dans un environnement international et multiculturel où chacun s’efforce de vivre une coexistence pacifique et évite les conflits à tout prix. L’internationalité et la multiculturalité sont, après tout, des réalités que l’on peut tenir pour acquises. Cependant, dans un cadre interculturel idéal typique, chacun s’efforce « d’entrer dans une relation mutuellement enrichissante et stimulante de compréhension, d’acceptation et d’attention – au point de partager un univers de valeurs au sens le plus profond – avec une personne d’une culture différente de la sienne ».8 Ainsi, nous quitterions nos zones de confort dans la vie interculturelle pour célébrer notre diversité et notre unicité et être mis au défi et enrichis par nos rencontres avec des personnes saintement différentes.

    «Mais si vous vous interrogez sur la situation sociale
    des individus que vous rencontrez et que cela vous
    conduit à une toute nouvelle façon de comprendre
    la réalité et vous incite à vous comporter
    avec empathie et compassion, vous venez peut-être
    de franchir le seuil de l’interculturalité
    grâce à votre imagination morale.»

     

    L’histoire de Cléopas et de son compagnon sur la route d’Emmaüs dans Luc 24,13-35 est un parfait exemple d’imagination morale dans sa forme la plus pure. Les deux disciples découragés auraient pu sans effort ignorer l’étranger apparemment curieux et retourner à leur vie quotidienne. Cependant, ils ont choisi de s’engager à fond avec l’étranger et de laisser leur imagination morale suivre son cours. Grâce à leur rencontre providentielle avec un étranger en chemin, Cléopas et son compagnon ont finalement bien saisi la situation. Quoi qu’il en soit, la vérité est indéniablement apparente. Notre rencontre avec un étranger ainsi que notre disposition à utiliser notre imagination morale peuvent nous aider à (re) découvrir notre véritable vocation et à approfondir notre relation avec le Seigneur ressuscité. Le résultat d’une telle rencontre est ce qu’il y a de si unique. Cléopas et son compagnon ont été revitalisés par leur rencontre avec l’Étranger, qui s’est révélé n’être autre que le Seigneur ressuscité et ils se sont précipités à Jérusalem avec enthousiasme pour en parler aux autres.

     

    foto articolo Silvester Asa

    La CIFA reçoit la visite de deux Conseillers généraux en novembre 2021 (Cameroun)

     

    Certains d’entre nous peuvent être fatigués d’entendre parler d’internationalité et de multiculturalité comme Cléopas et son compagnon avant leur rencontre avec le Seigneur ressuscité. Mais je crois que beaucoup d’autres sont comme Cléopas et son compagnon après leur rencontre avec le Seigneur ressuscité. Beaucoup d’entre nous continuent à être reconnaissants pour la nature internationale et multiculturelle de notre Congrégation malgré nos imperfections. Ce n’est que le début du voyage interculturel. Il nous reste à laisser libre cours à notre imagination morale et à faire en sorte que nos rencontres, avec les personnes saintement différentes, nous interpellent et nous enrichissent mutuellement. Lorsque ce moment arrivera, j’espère que vous venez de finir votre café à O’Hare et que vous avez laissé un gros pourboire à la personne qui vous a servi. Pour le pasalubong de Noël à votre communauté, n’oubliez pas un paquet d’andouillettes ou une bouteille de Johnny Walker de toute étiquette. Réjouissez-vous, car lorsque vous rentrerez chez vous, votre choix de mosselen-friet ou de bœuf argentin accompagné de Moutarde de Dijon ou de couscous et gombo, accompagné de bangus et de sambal piri-piri, vous attendra.  

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    1 John Paul Lederach, The Moral Imagination: The Art and Soul of Building Peace (Oxford, NY: Oxford University Press, 2005), p. 29.

    2 Je m’approprie la terminologie d’Eric Law, ‘Peaceful Realm.’ Eric H.F. Law, The Wolf Shall Dwell with the Lamb: A Spirituality for Leadership in a Multicultural Community (St. Louis: Missouri, Chalice Press, 1993), p.3.

    3 Lederach, The Moral Imagination, p. 5.

    4 Lederach, The Moral Imagination, p. 19.

    5 CICM, Directives pour la Vie multiculturelle en CICM (Roma, 2010), p. 3.

    6 CICM, Actes du 15e Chapitre général (Roma, 2017), p. 5.

    7 Amanda Gorman, “The Hill We Climb,” Amanda Gorman’s inauguration poem, ‘The Hill We Climb’ – Harvard Gazette

    8  Stephen B. Bevans and Roger P. Schroeder, SVD., Prophetic Dialogue: Reflections on Christian Mission Today (Maryknoll, New York: Orbis Books, 2011), p. 72.