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    Plantes et agriculture : Leçon pour un disciple missionnaire

    Silvester AsaPar Silvester Asa, cicm
    Conseiller général

    Je me souviens très bien de ce moment où, lors d'une visite dans la ville natale de ma mère à Atapupu, sur la côte nord de l'île de Timor, certains de mes camarades de classe du lycée, un groupe ap­pelé « Smansa86 », [1] m'ont offert un santal timorais qui était bien emballé dans un sac en plastique.

    J'ai été ravi de ce cadeau. D'une part, le bois de santal timorais était si précieux que, dans les temps an­ciens, les marchands chinois qui se rendaient au Timor se mariaient avec les filles des dirigeants timo­rais et adoptaient le système ma­triarcal en vigueur au Timor afin de pouvoir accéder facilement au commerce du bois de santal.[2] Par la suite, les Européens, notam­ment les Portugais et les Néerlan­dais, ont également manifesté un grand intérêt au commerce du bois de santal, ce qui les a attirés au Timor et a marqué le début de dé­cennies de colonisation occiden­tale des Timorais. Malheureuse­ment, à l'heure actuelle, en raison de la surexploitation, il est difficile de trouver un santal sur les terres où il poussait. [3]

    Comme prévu, j'ai planté cet arbre de santal près des tombes de mes grands-parents maternels. J'ai pris quelques photos de ce santal nouvellement planté et les ai envoyées à mes camarades de classe du lycée. En voyant la photo, un camarade de classe qui travaille au département des fo­rêts m'a demandé ce qui était ar­rivé aux petites plantes qui pous­saient autour du jeune santal dans le sac en plastique qu'ils m'avaient donné. Comme je pen­sais qu'il s'agissait de plantes sau­vages qui gêneraient la croissance du santal, j'avais décidé de les ar­racher. Je ne savais pas que ces plantes poussaient avec le santal pour servir de support nécessaire à la croissance de ce dernier.

    Je n'ai pas pu m'empêcher de me rappeler cette expérience particuliè­rement embarrassante lorsque j'ai lu certains articles de Robin Wall Kimmerer. Je me suis même de­mandé si mon action n'était pas un peu plus efficace que celle des colonisateurs qui sont arrivés en Amérique du Nord pour la première fois. Paradoxalement, même s'ils mangeaient des fruits du jardin produits par les Amérindiens, les colonisateurs ont dénigré la ma­nière dont ces derniers pratiquaient l'agriculture. Il est évident que pour ces colonisateurs, un jardin était « des rangées droites d'une seule espèce, et non pas un étalement tridimensionnel de l'abondance », [4] une forme d’agriculture pratiquée par les autochtones depuis des temps immémoriaux.

    Il est compréhensible que chaque culture ait des vues et des pratiques différentes en matière d'agriculture. Ce qui est assez in­quiétant, c'est l'attitude des coloni­sateurs face à un mode d’agricul­ture différent du leur. Alors que les autochtones « parlent de ce style de jardinage comme des Trois Sœurs », [5]où le maïs, les haricots et les courges poussent ensemble, tout comme les asters et les verges d'or peuvent pousser ensemble en parfaite harmonie et évoquent à leur tour non seulement le sens de la beauté mais aussi les besoins corporels de l'être humain, [6]les co­lonisateurs regardaient cette agri­culture avec condescendance.

    Roger Schroeder, SVD, a décrit une entreprise missionnaire comme « entrer dans le jardin de quelqu'un d'autre ».[7] En effet, les mission­naires peuvent être assimilés à des gens qui entrent dans le jardin de quelqu'un d'autre. Ce qu'on attend d'eux, c'est du respect, de la pru­dence et de l'humilité pour éviter qu’ils poursuivent leurs propres « ombres culturelles ». [8] Pire en­core, ils déracineraient cer­taines des plantes qui ont poussé dans le jardin bien avant leur arrivée, pensant qu'il s'agit de mauvaises herbes. Comme cela s'est produit par le passé, malgré toutes les nobles in­tentions de répandre l'Évangile, cer­tains chrétiens ont considéré les peuples indigènes comme infé­rieurs et ont prôné la conquête plu­tôt que le témoignage des valeurs de l'Évangile, ce qui a malheureuse­ment entraîné l'anéantissement non seulement d'une culture mais aussi de tout un peuple. [9]

    En effet, l'expérience que j'ai vé­cue au Timor et le travail de Kimmerer servent de rappel écla­tant du danger d'agir de manière imprudente dans le champ du Seigneur. Ils peuvent aussi servir d'invitation à « chercher le fil qui relie le monde, à unir au lieu de di­viser ». [10] En tant que mission­naires religieux CICM, nous sommes « envoyés aux nations pour annoncer la Bonne Nouvelle où notre présence missionnaire est le plus nécessaire, spécialement où l’Évangile n’est pas connu ou vécu ». [11] Le fait que nous partions, que nous nous détachions de nos propres cultures pour être des mis­sionnaires religieux dans une cul­ture différente de la nôtre ne nous libère pas de nos propres cultures. Nous emporterons toujours avec nous nos propres ombres cultu­relles partout où nous irons, comme l'ont si bien souligné Peter Koh et Jan Swyngedouw.[12] Il faut espérer que la prise de cons­cience de nos propres ombres nous enrichisse mutuellement dans notre rencontre avec la culture des gens auxquels nous sommes en­voyés.

    En effet, malgré toutes mes rencontres avec ceux qui sont « Culturally Holy Other », [13] je resterai toujours un Timorais, né dans un pays autrefois célèbre pour son bois de santal. Mais en tant que missionnaire religieux CICM, je peux rêver et travailler pour un jardin où le santal pousse au milieu des asters et de la verge d'or et soutient les trois sœurs : maïs, haricots et courges. Un tel jardin offrirait une belle vue de violet et de jaune des as­ters et de la verge d'or, une ali­mentation corporelle des trois sœurs, la guérison et le réconfort de l'âme brisée par le par­fum thérapeutique et aromatique du santal.


    [1] Smansa est une abréviation de "SMA Satu". SMA est l'abréviation du "Lycée" en Indonésie. "86" fait référence à l'année d'entrée au lycée en 1986 (Promotion 1986).

    [2] Agni Malagina et Syefri Luwis. Koin Kuno Spanyol dan Kisah Rempah Wangi di Pulau Timor (Antique Spanish Coins and the Tale of Timorese Scented Spices) on National Geographic Indonesia, posté le 8 février 2019. Consulté le 1er janvier 2021. https://nationalgeographic.grid.id/read/131623619/koin-kuno-spanyol-dan-kisah-rempah-wangi-cendana-di-pulau-timor?page=2

    [3]Sigiranus Marutho Bere. Pohon Cendana di Timor Nyaris Punah, (Timorese Sandalwood, at the Brink of Extinction) publié le 3 avril 2012, consulté le 1er janvier 2021. https://regional.kompas.com/read/2012/04/03/16514511/Pohon.Cendana.di.Timor.Nyaris.Punah

    [4] Robin Wall Kimmerer. Braiding Sweetgrass: Indigenous Wisdom, Scientific Knowledge, and the Teachings of Plants. The Three Sisters (Minneapolis: Milkweed Editions, 2013), 129.

    [5] Kimmerer. Braiding, p.131.

    [6] Robin Wall Kimmerer. Braiding Sweetgrass: Indigenous Wisdom, Scientific Knowledge, and the Teachings of Plants. Asters and Goldenrod (Minneapolis: Milkweed Editions, 2013), 46.

    [7] Stephen B. Bevans et Roger P. Schroeder. Prophetic Dialogue: Reflections on Christian Mission Today (Maryknoll, New York: Orbis Books, 2011), 33-4

    [8] Peter Koh Joo-Kheng, CICM et Jan Swyngedouw, CICM, Our Cultural Shadows: Letters From and To A Young Missionary (Quezon City: Claretian Publications, 1998), xii.

    [9] Stephen B. Bevans et Roger P. Schroeder. Constant in Context: A Theology of Mission for Today (New York: Orbis Books, 2004), 176.

    [10] Kimmerer. Braiding Sweetgrass. 42.

    [11] Congrégation du Coeur Immaculé de Marie. Constitutions et Directoire commun. Article 2. (Rome, 1988), 14.

    [12] Koh, Our Cultural Shadows, xii.

    [13] Dans sa conférence publique à la Catholic Theological Union, CTU Chicago sur " Interculturality and Leadership in Consecrated Life ", Antonio M. Pernia, SVD, a parlé de " culturally other". Ainsi, " Culturally Holy Other " est un ajout de ma part basé sur la conférence de Pernia. Conférence vidéo à la CTU, consultée le 6 janvier 2021.https://learn.ctu.edu/antonio-pernia-monday/


    Osons davantage une écoute empathique en ce temps de crise

    Jean Gracia EtiennePar Jean-Gracia Étienne, cicm
    Conseiller général

    L’écoute dans les relations interpersonnelles

    L’écoute est quelque chose de fondamental dans toute relation interperson­nelle et dans la relation humano-divine. En effet, dans la Bible, Dieu parle à son peuple et ne cesse de lui demander de l’écouter. Il lui révèle que c’est par l’écoute qu’il connaîtra le bonheur (cf. Dt 4, 1). Ainsi le premier des com­mandements est le Shema Israël que tout parent juif enseigne à ses enfants de génération en génération (cf. Dt 6, 4). Ainsi, nous pouvons dire que l'écoute est la clé d'une bonne compréhension mutuelle et que, écouter et entrer en soi-même apporte la vie.[1] Il existe cependant de nombreuses fa­çons d'écouter l'autre. Mais il nous semble qu'une écoute emphatique soit plus appropriée dans le contexte de la crise actuelle, avec ses consé­quences désastreuses sur la vie des individus.

    L’écoute comme un service fraternel

    L’écoute est un don précieux que nous devons offrir aux autres, plus particulièrement en cette période de crise. Nous n'avons pas besoin de beaucoup de littérature pour démontrer que nous vivons un temps incroyablement difficile, rendant l'avenir de plus en plus incertain. La majorité de la population du monde trouve de plus en plus difficile de répondre à ses besoins fondamentaux. Certaines personnes aisées sont aussi confrontées à différents types de difficultés, même si elles ne doivent pas faire de grands efforts pour se procurer les biens de première nécessité. Nous sommes en contact direct ou indirect avec la plupart de ces catégories de personnes qui ont besoin d'être écoutées. D’où l’urgence de faire aussi de l’écoute un service fraternel.

    Effets néfastes de la non-écoute

    Il ne fait pas de doute qu’il y a des personnes qui ont souffert péniblement de la non-écoute dans l’histoire de l’humanité. Cette situation est évoquée à plusieurs reprises dans la Bible. Nous pouvons donner comme exemple Job, ce personnage biblique qui, dans sa tourmente, s’écriait : « Ah ! qui fera donc que l’on m’écoute (Jb 31, 35) » ? Job a aussi crié : « Écoutez, écoutez mes paroles, accordez-moi cette consolation. Souffrez que je parle à mon tour ; quand j’aurai fini, libre à vous de railler (Jb 21, 2-3) ». Mal­heureusement, nous pouvons constater que l'écoute devient très superfi­cielle et rare dans la tourmente du monde actuel. Plusieurs facteurs peu­vent expliquer cette situation. Tout d’abord notre monde est submergé par une surabondance de la parole à la télé, la radio, dans les réseaux sociaux, etc. Ensuite, le manque de temps à consacrer à une autre personne qui nous est très proche, peut-être parce que nous sommes en contact virtuel avec d'autres personnes de l'autre côté du monde. Enfin, cela peut aussi être parce que nous sommes sous la « dépendance » de nos appareils élec­troniques ou que nous sommes pris par d'autres préoccupations.

    À la lumière de ce constat, il est plus important que jamais de nous former à l’écoute pour contrer les nombreuses causes de la non-écoute et contribuer à rendre la compréhension plus efficace dans nos relations. Il y a beaucoup à dire sur l’écoute comme capacité vitale dans toutes les relations humaines et humano-divines. Puisque, dans ce partage, nous voulons mettre l’accent sur l’écoute empathique, nous devons chercher à mieux comprendre ce qu’est l’empathie comme une capacité innée et naturelle plongeant ses ra­cines au plus profond de notre identité humaine.

    Ce qu’on entend par empathie

    Le concept d'empathie a connu différentes définitions. Cependant, un con­sensus se dégage autour de certains éléments fondamentaux relatifs à ce terme facilitant l’émergence de définitions spécifiques. Nous nous limiterons ici à deux. La première est que « par empathie on désigne aujourd’hui la capacité de se mettre à la place de l’autre pour comprendre ce qu’il éprouve ».[3]  Par ailleurs, d’après le Dictionnaire français Micro-Robert, l’empathie est « la capacité de s’identifier à autrui, de ressentir ce qu’il ressent ». À partir de ces deux brèves définitions qui ne sont pas très éloignées l’une de l’autre, on peut dire que l’empathie implique une ouverture à l’autre, tout en recherchant à saisir ce qu’il ressent, sa façon de voir ou de vivre une situation donnée.

    Pour mieux jouer ce rôle, nous devons nous oublier et nous intéresser à l'autre afin de créer une communication constructive et des relations si­gnificatives. Il arrive souvent que notre capacité d'écoute soit relative­ment faible. Nous ne prêtons pas suffisamment attention aux messages verbaux et non verbaux que l'autre personne nous transmet. Parfois, les messages non verbaux, tels que les expressions faciales, les timbres de voix, les gestes du corps, sont plus expressifs que les mots.[4]

    Évolution dans la compréhension de l’empathie

    Le terme d’empathie, tel qu’on le comprend aujourd’hui, n’est pas nou­veau. C'est un concept philosophique qui a fait l'objet d'une réflexion sou­tenue depuis plus d'un siècle et a longtemps été l'objet de recherches et de réflexions par des penseurs, tant des experts en psychologie et en neurologie que des sages, des saints et des guérisseurs.[5] Le concept « em­pathie » est devenu incontournable aujourd’hui lorsque qu’on parle de re­lations interpersonnelles. En effet, il convient de souligner que « sur la voie moderne des formations à l’écoute, on rencontre la notion riche et prometteuse de l’empathie. Grâce à Carl ROGERS, l’écoute s’est installée au cœur des relations humaines. On ne peut écouter l’autre qu’en étant capable de se centrer sur lui ».[6] De nos jours, une des approches d'aide aux personnes qui mettent un accent tout particulier sur la relation d'aide basée pratiquement sur l'écoute active est le counseling, sous ses diffé­rentes formes et procédures. Cependant, chaque individu est également appelé à pratiquer l’écoute quotidiennement.

    Parle-moi, je t’écoute

    Cette invitation cordiale est le titre d’un ouvrage en italien. Elle pourrait bien exprimer la disponibilité de celui ou celle qui s’apprête à écouter. En même temps, c’est une invitation à l’autre à s’ouvrir au dialogue. Dans un dialogue, il est essentiel de savoir distinguer entre écouter et entendre mais aussi de pouvoir clarifier le rapport entre ces deux notions. De plus, il est nécessaire de connaitre les conditions à réunir pour assurer une bonne condition de l’écoute. Il faut donc essayer d'éviter la confusion entre l'empathie et les autres sentiments humains, qui sont également très importants dans les relations interpersonnelles, comme la sympathie, la compréhension et le phénomène de contagion émotionnelle.

    Dans cette perspective, on peut comprendre qu'il puisse être difficile, par exemple, d'entrer en sympathie avec une personne que l'on n'aime pas assez alors que l'on peut facilement éprouver de l'empathie envers elle. Ainsi l’em­pathie se cultive, elle est avant tout une manière d’être. Comme religieux missionnaires, nous devons également cultiver une manière croyante de pra­tiquer l’empathie, appelée l’empathie dans la foi.

    Qu’est-ce que l’empathie dans la foi ?

    L’empathie dans la foi est une manière croyante de pratiquer l’empathie. C’est une manière de vivre la foi, l’espérance et l’amour par des gestes con­crets, en particulier envers les personnes qui peuvent avoir besoin d'aide pour surmonter les difficultés de leur vie. Nous devons nous laisser guider sur ce chemin par l’Esprit Saint qui est la puissance et la force de Dieu et qui se révèle aussi comme impulsion à l’action.

    Nous ne devons pas nous limiter à illuminer l’esprit avec notre sagesse et ex­citer le cœur des autres avec des sentiments d’amour, d’espérance et de joie.  L’Esprit nous pousse également à transformer efficacement l’illumination et l’amour en action et en œuvre.[8]  L’empathie dans la foi peut également être considérée comme un moyen efficace de nous aider à surpasser les limites et les pièges de l’empathie, comme la simulation, la projection, l’assimilation, etc. en faisant en sorte que l’amour soit son moteur.

    Cultivons davantage l’empathie

    Ces quelques lignes, nous l’espérons, pourraient nous encourager à recher­cher une meilleure compréhension de l’empathie, cette attitude innée qui nous permet de mieux comprendre et ressentir, même si ce n’est que par­tiellement, les émotions et les souffrances de l’autre. De plus, ces lignes peu­vent nous aider à pratiquer davantage l’empathie, d’une façon plus cons­ciente, dans nos relations interpersonnelles quotidiennes, dans nos ap­proches pastorales et dans les différentes formes d’accompagnement des personnes qui doivent toujours être au centre de toute relation d’aide. Une bonne pratique s’apprend et se cultive, principalement par entraînement, tout en gardant un certain équilibre.

    Il faut aussi se rappeler que dans la pratique de l’écoute emphatique, « le juste milieu, c’est entrer en résonance avec l’autre pas en fusion qui amène de la confusion ».[9] Aussi nous ne devons pas oublier ce principe connu et accepté par tous : « l’homme est un mystère, un authentique mystère ». Cela signifie qu’une personne est plus que le corps qu’elle possède, ses oc­cupations, la position sociale qu’elle occupe, ce qu’elle possède, etc. Tous ces attributs ne sont que quelques aspects au moyen desquels il s’exprime.

    Pour compléter ces quelques éléments, on peut aussi dire, dans un contexte chrétien, que la personne est corps, intelligence, esprit, image et enfant de Dieu. Elle se révèle ainsi comme un être unique, conscient, responsable, libre et capable d’aimer. Nous devons également garder à l’esprit que chaque personne a son histoire et sa particularité. En tenant compte de ces aspects nous pouvons mieux entrer en relation et cheminer avec une personne sous la conduite de l’Esprit. La prudence de l'Esprit nous permettra de répondre aux préoccupations de l'autre. Cette capacité d’empathie peut nous conduire à de véritables rencontres. Guidés par l’Esprit-Saint, osons faire chaque jour un pas de plus vers cette culture de la rencontre. ■


    [1] Cf.  R. MAIRE, Ce que dit la Bible sur l’écoute, Presse de la Nouvelle Imprimerie Laballery, Franc, 2016, p. 6.

    [2] Cf. L’empathie : L’art d’être en relation, Éditions Eyrolles, Paris, 2013, p. 15.

    [3] S. FAMERY, Op. cit., p. 19.

    [4] Cf. A. NEWBERG et M. R. WALDMAN, La clé de la communication. Découvrez la puissance de l’empathie, Traduit de l’anglais (E.-U.) par H. C. BRENNER, Les éditions de l’Homme, Montréal, Québec, 2013, 12.

    [5] Cf. C. DALE, le pouvoir spirituel de l’empathie, Traduit de l’anglais par A. OLLIVIER, Éditions AdA  Inc., Québec, 2016, p. 1.

    [6] L. BELENGER et M.-J. COUCHAERE, L’Écoute. Osez l’empathie pour améliorer vos relations, ESF éditeurs, 2e édition, Lavis, 2010, p. 11.

    [7] K. GELDARD et D. GELDART, Palarmi, ti ascolto. Le abilità di Counseling nella vita quotidiana, Edizioni italiana a cura di V. URSO, Bologna, 2010.

    [8] Cf. L. J. GONZÁLEZ, Guidati dallo Spirito. Accompagnamento Spirituale di Stile Integrativo, EDICIONES DURUELO, seconda edizione, Traduzione di: Carmelitane Scalze del monastero Regina Coeli, Roma, México, 1998., p. 159.

    [9] X. C. NEWBERG et M. R. WALDMAN, L’Empathie, un chemin vers la bienveillance. Éditions Jouvence, France, 2017, p. 30.


    Vivre nos différences : Des défis et des opportunités

    Jozef MattonBy Jozef Matton, cicm
    Conseiller général

     

    Nous ne devons pas déployer trop d’efforts pour constater que nous sommes tous différents les uns des autres.

    Ces dernières semaines et même ces derniers mois, tous, nous avons effectivement été témoins d’un regain de racisme et de violences liées au racisme. Et ce phénomène ne concerne pas seulement les États-Unis. Apparemment, pour certaines personnes, accepter les différences n’est pas possible. Et pourtant une évidence saute aux yeux : nous sommes tous différents et parfois très différents et dans des domaines très variés. Les jumeaux sont peut-être moins différents au niveau physique. Et pourtant, chacun des deux suivra sa propre voie et construira sa vie à sa propre manière, éventuellement avec un partenaire qu'il ou elle aura choisi et non avec son frère jumeau ou sa sœur jumelle.

    Ce n'est pas différent en CICM : nous sommes tous différents les uns des autres. On dit qu'à Scheut, on peut trouver un spécimen de chaque espèce. C’est avec toutes ces différences que nous devons vivre ensemble ou, pour mieux l’exprimer et d’une façon plus positive, que nous pouvons vivre ensemble.

    Nos différences : un défi

    Nous constatons souvent dans notre environnement proche ou éloigné que les différences peuvent conduire à des différends. Nous ne devons pas courir loin pour en être témoins. Des ménages en souffrent parfois. Des relations de travail sont parfois mises sous pression à cause des différences entre les personnes. Les communautés religieuses n’échappent pas à cette souffrance.

    Nous savons trop bien que vivre avec les autres, et donc avec des gens différents de nous, n'est pas toujours évident, que ce soit dans les communautés religieuses ou dans les familles. Et pourtant nous disons facilement : « Ce ne serait pas une bonne chose si nous étions tous semblables : la vie serait trop monotone. » Un bouquet de fleurs de la même variété et de la même couleur est-il d’office le plus beau bouquet ou le contraire ? Même sur ce point, les opinions diffèrent.

    La variété, qui implique des différences, n'est donc pas toujours source d'harmonie. Il faut de la pratique et des efforts. De même qu’un orchestre d'harmonie doit beaucoup s'entraîner pour s'assurer que tous les instruments fusionnent en une seule unité tout en conservant leur propre timbre et leur place spécifique dans l’ensemble. Il faut parfois s'effacer. Qui n’a pas été témoin de cette réalité et ne l’a pas vécue dans sa propre vie ?

    Nos différences :  une opportunité

    Vivre et, surtout vivre ensemble, signifie vivre avec des différences. Cela ne devrait pas toujours conduire à des différends, parce que ces conflits ne concernent souvent que l’extérieur, la peau ou la coquille. Il est rare que le noyau soit à l'origine du différend. C'est précisément ce noyau qui peut nous aider à transcender les différences et à les vivre comme une variété enrichissante.

    Et le noyau ? Mon opinion est que pour nous tous CICM, il consiste en notre foi en Jésus Christ et en notre engagement libre de le suivre ensemble dans sa mission libératrice. Nous ne nous sommes pas engagés pour notre propre compte ou pour notre propre profit.

    Il s’agit d’un engagement commun. Le tout premier article de nos constitutions le dit déjà : « La Congrégation est un Institut missionnaire religieux international. Fondé par Théophile Verbist, il est dédié au Verbe Incarné, sous le titre et le patronage du Cœur Immaculé de Marie. (Const. Art. 1) » En s’engageant dans l’Institut, chacun de nous prend conscience de ce caractère international. Il s’agit d’un élément constructeur de notre identité CICM.

    En ce moment, nous sommes environs 800 confrères dans notre Congrégation, autant de personnes différentes, chacune avec ses caractéristiques et ses qualités spécifiques. Il est impossible de dresser une liste des éléments qui nous différencient au sein de notre Congrégation, au sein de notre Province et au sein de nos petites ou grandes communautés. Généralement, nous n'avons pas créé ces différences nous-mêmes. Depuis notre naissance, nous avons hérité de nombreuses différences. Mes expériences ne sont jamais similaires à celles d'un autre. Ma façon de gérer ces expériences agréables et désagréables est originale et n'est jamais identique à la façon utilisée par quelqu'un d'autre. Cela me rend unique par rapport à l’autre. Cela devrait me rassurer. Je ne dois pas être comme l’autre. Je peux et j’ai le droit d’être moi-même. Inversement, l'autre ne doit pas être un double de ma personne. Il n'y a pas de modèle uniforme d'être un missionnaire CICM.

    Nos différences : une richesse

    La réalité de la riche histoire de notre Congrégation montre que les peaux ou les coquilles sont toutes très différentes. Nous avons une grande variété, une mosaïque de présences parmi les gens de cultures très diverses. Cette diversité a fait grandir la Congrégation et notre souhait le plus profond est que celle-ci puisse continuer à grandir dans l'avenir. Nous ne devons pas simplement accepter ces différences, cette diversité et cette variété et apprendre à vivre avec elles. Nous devons nous atteler à construire et à vivre une vie missionnaire engagée et fructueuse avec d'autres confrères, même si nous sommes peut-être plus avancés en âge. Ce défi majeur pour chacun de nous restera fondamental au sein de notre petite ou grande communauté, au sein de notre Province et certainement au sein de notre Congrégation. C'est peut-être le plus grand défi pour l'avenir de notre Congrégation.

    Une tentation peut surgir : celle d’utiliser le fait que nous sommes tous uniques pour réaliser notre propre projet ou pour justifier nos erreurs et nos lacunes éventuelles. Malheureusement, cela se produit également. En agissant ainsi, nous nous cachons, nous évitons de nous remettre en question. Nous faisons peu d’efforts pour reconnaître ce problème, en accepter les conséquences, travailler pour le résoudre et ainsi vivre d’une manière nouvelle et plus cohérente.

    Il se peut que certains d’entre nous disent : « Vous devez comprendre, il est comme ça. » Peut-être que cela aide les autres à nous accepter tels que nous sommes et à rendre possible le « vivre ensemble » avec nous ; mais ne permettons pas que cela soit pour nous-mêmes une excuse qui justifie tout. Quand je focalise sur mon être différent des autres, que je le transforme en un culte et que je l’utilise comme argument de toutes les excuses, j’apporte peu de valeur ajoutée à la communauté, petite ou grande, loin de là. La seule chose qu’on pourrait dire, c’est que c’est humain. Cela devient très difficile lorsque je veux être la norme déterminante de jugement ou d’évaluation des autres. L’autre ne devrait pas être le clone de moi-même, et ma personnalité ne devrait pas être un élément normatif de ma vision de l’autre.

    Côtoyer des gens, des confrères d’origines ou de cultures diverses nous permet d’apprendre à découvrir le monde, et comment on peut y vivre. Il est toujours intéressant de voir que le monde ne se limite pas à la cour de récréation ni à notre maison ni à notre couvent par exemple. Nous pouvons également développer des qualités utiles comme : la tolérance, le respect des autres, la reconnaissance de la dignité des autres et l’ouverture d’esprit. La différence est une richesse incroyable. Il suffit d'accepter les autres, et leur montrer que moi aussi je mérite d’être accepté parce que ma culture est aussi intéressante que celle des autres.

    Pour conclure

    Je voudrais reprendre une petite partie de l’homélie que j’ai prononcée à la fin de ma visite canonique à l’AIFC aux Philippines en 2018.

    « Bien sûr, un grand défi pour chacun de nous est la vie multiculturelle, non seulement dans les maisons de formation, mais aussi dans la mission. Nous l’expérimentons dans notre vie quotidienne aussi ici à l’AIFC. Chacun de nous a sa propre culture, même si nous venons du même pays ! Moi, je suis né dans une famille d’agriculteurs. J’ai fait l’expérience très claire dès le début que des confrères résidant en ville avaient une culture, une façon d’agir et de penser qui était différente de la mienne. Mon humble expérience m’a appris que :

    • nous devons tout d’abord tolérer que les cultures des autres soient ou peuvent être différentes !
    • Mais cela ne suffit pas. Nous devons accepter que les cultures des autres soient ou peuvent être différentes.
    • Mais plus qu’accepter, nous devons apprécier les cultures des autres. La vie et la collaboration en esprit multiculturel ne sont pas possibles si nous ne pouvons pas apprécier la culture de ceux avec qui nous partageons la vie et le travail.
    • Mais apprécier la culture des autres ne suffit pas ; il nous faut aussi apprendre de la culture des autres ! Nous pouvons tous apprendre des autres ! La culture des autres peut nous enseigner quelque chose, mais pour cela, nous devons être ouverts à cette possibilité, parce que nous ne sommes certainement pas meilleurs que les autres. Certains d’entre vous m’ont dit clairement que la culture des autres les avait aidés à apprendre pas mal de choses, même sur eux-mêmes ! »

    Nous avons un engagement commun : vivre tous ensemble avec notre diversité. Le reste n’est que la peau. Même si la peau diffère, la partie nutritive est là. Elle est sous la peau !

    Chers confrères dans toutes nos maisons et toutes nos communautés, même sur nos vêtements liturgiques nous retrouvons notre devise : « Cor Unum et Anima Una. » Prions et efforçons-nous surtout pour que cette devise ne se réduise pas en vains mots !