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    Dérange-nous, Seigneur

    Jean Gracia ETIENNEPar Adorable Castillo, cicm 
    Vicaire général

     

    Cette prière de feu l’évêque Desmond Tutu qui figure dans les Actes du 15e Chapitre général a pour but d’inspirer les confrères CICM à continuer à rêver et à espérer une mission pionnière, audacieuse et créative. Nos Constitutions disent que le Chapitre général qui se tient régulièrement « vise à renouveler l’élan apostolique de l’Institut et à encourager ses membres dans la fidélité à leur vocation missionnairereligieuse» (Art. 110). Permettez-moi d’apporter mon grain de sel à cette réflexion en cours alors que nous préparons le 16e Chapitre général et que nous voulons renouveler notre engagement envers la mission universelle de l’Église.  

    Un authentique renouveau missionnaire présuppose une conversion, à la fois personnelle et communautaire. Comme dans le cas de personnages bibliques éminents, la conversion se produit de différentes manières, parfois de façon bizarre, concomitantes à des événements inattendus.

    Jonas est appelé par Yahvé à prêcher la conversion aux Ninivites, mais il refuse continuellement et prend délibérément la fuite. Naufragé et jeté à la mer, il fut finalement avalé par une baleine et dans le ventre de celle-ci il devint malgré lui un missionnaire.

    Frustré, épuisé et effrayé, Élie fut nourri par des corbeaux et une veuve. Et sur le mont Horeb, le Seigneur lui est apparu non pas dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu ; mais dans le murmure d’une brise légère.

    Simon, le pêcheur chevronné de Capharnaüm, a été impressionné par une pêche miraculeuse et est devenu un disciple de Jésus. Et plus tard, le chant du coq proverbial lui a rappelé non seulement son grand péché, mais aussi la grande miséricorde de Dieu.

    Saul de Tarse était un pharisien zélé, un défenseur acharné de la Torah, et un persécuteur reconnu des chrétiens. Sur le chemin de Damas, il est soudainement tombé et un éclair de lumière l’a rendu aveugle. C’est une expérience de conversion à ne pas négliger, car elle a changé le cours de l’histoire du christianisme.

    Des événements bizarres couplés à des occurrences naturelles et cosmiques telles que des éclairs, des prises miraculeuses, le chant du coq et des tempêtes turbulentes sont des occasions de perturbation, de dissonance et de rupture qui jouent un rôle crucial dans toute expérience d’une conversion. Puisse cette prière nous conduire à la conversion.

    Dérange-nous, Seigneur,

    lorsque nous sommes trop satisfaits de nous-mêmes,

    lorsque nos rêves se réalisent

    car nous avons rêvé trop peu,

    lorsque nous sommes arrivés en toute sécurité

    car nous avons navigué trop près de la rive.

    Lors d’une récente cérémonie de profession des vœux perpétuels, j’ai adressé ce message aux confrères concernés : « Cette profession perpétuelle signifie-t-elle avoir les droits et privilèges inviolables dont jouissent tous les membres profès perpétuels de la CICM ? Cela signifie-t-il un “droit” perpétuel ? Pas du tout. Elle signifie plutôt un service perpétuel au peuple de Dieu et un engagement durable dans la mission que le Seigneur nous a confiée ». Sommes-nous trop satisfaits de nous-mêmes lorsque nous avons enfin réussi à prononcer les vœux définitifs et à être ordonnés aux ordres de diacre et de presbytre ? Nos rêves se sont-ils réalisés lorsque nous jouissons enfin des droits et privilèges inviolables d’un CICM profès perpétuel et avons acquis l’honneur et la dignité d’un ministre ordonné ? Sommes-nous arrivés à bon port, « en naviguant trop près de la rive », lorsque nous préférons nous contenter de notre environnement confortable et familier ?

    Dans Evangelii Gaudium (n° 20), le pape François nous exhorte à accepter l’appel de « sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile.» Notre confort n’est pas seulement notre environnement familier et confortable. Elle comprend également le fait d’être prisonnier de théologies non actualisées, de méthodes missionnaires dépassées et de vieilles « habitudes du cœur. »1  Nous sommes mis au défi «de passer du mode d’entretien à un nouveau paradigme missionnaire ».2 Avec les maigres ressources dont il disposait, Théophile Verbist rêvait « grand ». Il rêvait d’une mission en Chine. Il est mort après seulement 27 mois dans l’une des missions les plus difficiles dans l’arrière-pays de la Chine, sans voir les fruits de son travail. Après 160 ans d’existence comme congrégation missionnaire, faisons un test de réalité. Le pape Jean-Paul II, dans son encyclique Redemptoris Missio (no 33), identifie 3 situations missionnaires : (1) les endroits où l’Évangile n’est pas encore connu, (2) les jeunes églises qui ont besoin de soins pastoraux, et (3) la « situation postchrétienne », notamment en Europe. Il va sans dire que plus de 80 % de notre personnel missionnaire actif se trouve dans la situation n° 2. Alors que nous effectuons un travail pastoral dans de nombreuses églises locales en Afrique, en Asie et dans les Amériques, nous sommes à peine présents dans les situations no. 1 et no. 3. Aujourd’hui, notre Congrégation est confrontée au défi clair et actuel de passer de la situation n° 2 aux situations n° 1 et n° 3.

    Dérange-nous, Seigneur,

    Lorsque, avec l’abondance de choses dont

    nous disposons,

    nous avons perdu notre soif d’eau vive;

    après être tombés amoureux de la vie,

    nous avons cessé de rêver de l’éternité,

    et dans nos efforts de construire une nouvelle terre,

    nous avons laissé baisser notre vision du nouveau Ciel.

    Selon un récent numéro du magazine Forbes, « un nombre record de milliardaires, environ un nouveau toutes les 17 heures, a été créé pendant la pandémie de COVID-19. »3  Les milliardaires naissent dans les bons et les mauvais moments. Alors que 6 millions de personnes sont déjà mortes et que de nombreux autres millions souffrent depuis l’apparition de la COVID-19, notamment dans de nombreux pays en développement, les milliardaires réussissent bien pendant la pandémie. Notre propre portefeuille de placements a enregistré des rendements records. « C’était en effet une année fantastique ». Ce résultat positif nous assurera plus ou moins la subsistance pour nous-mêmes et pour notre travail missionnaire pour les prochaines années à venir. Alors que nous nous réjouissons et félicitons nos gestionnaires des investissements pour un travail bien fait, ne devrions-nous pas penser davantage à partager généreusement nos ressources et à travailler en étroite collaboration avec ceux qui ont été gravement touchés par la pandémie actuelle ?

    L’une des grandes leçons tirées de la pandémie de COVID-19 est la « mondialisation de la solidarité ». Nous ne sommes peut-être pas « infectés, mais nous sommes tous affectés ». Nous sommes tous membres d’une même espèce appelée Homo sapiens. En tant qu’Homo sapiens, nous sommes les plus performants parmi les espèces de primates grâce à notre cerveau. Cependant, nous sommes également les plus dangereux, car, en tant qu’espèce, nous sommes capables de tuer, et pire encore, de planifier un génocide.4 De même, nous sommes capables de détruire notre propre environnement naturel. Notre intelligence s’avère être « notre faiblesse ». Elle est la source de la violence, de la manipulation et de l’autodestruction. Inversement, en tant qu’espèce, nous survivons avec plus de succès que les dinosaures, non pas grâce à notre « plus gros cerveau », mais grâce à notre plus grand « cœur ». Matthew Fox5 a un jour soutenu que la « bénédiction originelle » est « plus originelle » que le « péché originel ». Les êtres humains sont « bénis » dès le départ, car contrairement au principe de « la survie du plus apte »6, nous sommes dotés d’un « cœur plus grand » pour prendre soin des plus faibles et des plus vulnérables. C’est ce qu’enseigne la Bible (et le Coran, d’ailleurs) : aimer son prochain. Les êtres humains sont capables de se donner et de se sacrifier. C’est ce genre de moralité qui a permis à la toute jeune communauté des disciples de Jésus de survivre et de s’épanouir en tant que communauté de croyants au milieu de la domination de la Rome païenne.

    Il y a deux mille ans, le christianisme était une minuscule et insignifiante secte juive en marge de l’Empire romain. Plusieurs vagues d’épidémies avaient été enregistrées pendant l’apogée de l’Empire romain. Des milliers de personnes, voire des millions, sont mortes de maladies infectieuses inconnues. Selon le sociologue Rodney Stark7, de nombreux chrétiens étaient également morts, mais un nombre considérable d’entre eux avaient survécu à l’épidémie. Alors que beaucoup se s’étaient enfuis et étaient allés dans un havre plus sûr, les chrétiens étaient restés dans la ville. Ils avaient pris soin des malades et avaient enterré les morts, tout en faisant preuve de beaucoup de compassion et de solidarité envers les survivants. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la survie était le produit indirect des valeurs chrétiennes d’abnégation et de sacrifice de soi. Un bon nombre de chrétiens qui avaient pris soin des malades avaient acquis une certaine immunité contre la maladie et avaient finalement survécu. Avec le recul, nous pouvons conclure que les chrétiens avaient survécu non pas parce qu’ils étaient forts, en bonne santé et en forme, mais parce qu’ils avaient pris soin les uns des autres.

    Au lendemain de la pandémie de COVID-19, nous devrions être « perturbés » à la fois par le « résultat fantastique » de nos « gains » et par la « perte énorme » de vies et d’opportunités économiques de millions d’êtres humains dans le monde. Notre Institut missionnaire a commencé lorsque le Fondateur s’est lancé dans la fondation d’un « nouveau Ciel et d’une nouvelle Terre » dans la mission lointaine de Chine, malgré les contraintes financières et les maigres ressources. Rappelons-nous ce passage des Actes du 15e Chapitre général :

    Ce qui leur manquait en ressources financières, ils l’ont compensé avec leur foi et leur enthousiasme. Verbist, dans sa lettre du 20 octobre 1867, a écrit : « les forces spirituelles acquises doivent surpasser de beaucoup les forces corporelles. » L’exemple de Verbist et des premiers missionnaires en Chine nous rappelle que c’est précisément quand nous sommes faibles, petits, avec des ressources limitées, que nous témoignons tous de la puissance de Dieu quand nous réalisons la mission. 8

    Dérange-nous, Seigneur,

    Afin d’oser plus hardiment,

    de nous aventurer en mer plus large,

    là où les tempêtes nous révéleront ta majesté;

    Quand, perdant de vue la terre,

    nous trouverons les étoiles.

    Nous te demandons de repousser

    les horizons de nos espoirs,

    et de nous propulser vers l’avenir,

    avec force, courage, espérance et amour.

    Le 15e Chapitre général a déclaré explicitement que « la perte de “l’esprit de pionnier” est un obstacle majeur pour commencer quelque chose de nouveau. »9   Comme l’affirmé André De Bleeker, il n’est pas trop tard pour retrouver notre esprit de pionnier :

    Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est que les CICM entreprennent ce que peu sont prêts à faire — être des pionniers. Les pionniers abandonnent le statu quo et créent une « nouvelle normalité ». Les pionniers ont un feu au fond du cœur qui les pousse à partager la Bonne Nouvelle dans des situations exigeantes et difficiles… Notre mémoire rejoue notre passé, mais notre imagination prépare notre avenir. Nos pionniers ont dynamisé l’imagination de milliers de confrères. Puissent nos imaginations inspirer les confrères à entreprendre un travail de pionnier une fois de plus dans ce siècle. 10  

    Que les souvenirs des pionniers CICM «rejouent» notre passé. Après que le Fondateur et ses quatre compagnons se soient aventurés en Mongolie intérieure, quatre confrères conduits par Albert Gueluy sont partis pour la mission du Congo (aujourd’hui République démocratique du Congo [RDC]) en 1888. Ils ont parcouru d’énormes distances en utilisant les moyens de transport disponibles à travers des rivières périlleuses, des forêts épaisses et des terrains inhospitaliers pour prêcher l’Évangile aux populations autochtones d’Afrique centrale. Neuf confrères CICM menés par Peter Dierickx ont débarqué aux Philippines en 1907 et ont choisi de se rendre sur un vaste territoire dans la région montagneuse du nord de Luzon pour prêcher l’Évangile aux tribus non évangélisées des Cordillères. De nombre CICM néerlandais ont été les pionniers du travail missionnaire parmi les Torajas en Indonésie. Jerry Galloway a consacré toute sa vie et son expertise médicale au service des populations autochtones dans les forêts de Mai-Ndombe, en RDC. Depuis de nombreuses années, les confrères CICM travaillent en étroite collaboration avec les personnes marginalisées aux États-Unis telles que les Afro-Américains, les Amérindiens et les migrants hispaniques. Les confrères du Brésil se sont aventurés dans les territoires des autochtones dans la région amazonienne. En 1992, trois missionnaires CICM ont fondé de toutes pièces la mission catholique dans le vaste territoire de la Mongolie. Au Guatemala, des confrères se sont engagés dans l’apostolat missionnaire auprès de la population autochtone à Cobán et ailleurs. En Belgique, une communauté multiculturelle CICM fait de l’apostolat missionnaire dans une zone urbaine de Deurne, à Anvers. Le district d’Indonésie a récemment commencé un ministère pastoral parmi la population autochtone de Kalimantan. Le Gouvernement général actuel a décidé à l’unanimité de lancer une nouvelle entreprise missionnaire au Malawi. Les quatre premiers missionnaires CICM y sont arrivés au cours du dernier trimestre de 2020.

    Laissons notre imagination «préparer» notre avenir. Sommes-nous prêts à militer pour le bien des Batwas et d’autres tribus autochtones en RDC ? Sommes-nous prêts à travailler parmi les Dumagats de la Sierra Madre, les Aetas du centre de Luzon, ou les Lumads de Mindanao ? Sommes-nous assez audacieux pour accepter le défi du prélat de Marawi aux Philippines de nous impliquer à nouveau dans le dialogue islamo-chrétien ? Sommes-nous prêts à « planter notre tente » parmi les personnes sécularisées en Europe ? Sommes-nous assez audacieux pour répondre à nouveau à l’appel du Pape François d’aller aux périphéries de l’Amazonie en Amérique du Sud ? Sommes-nous capables de mettre à profit les nouvelles technologies de l’information et les médias sociaux pour l’évangélisation ? Sommes-nous présents dans les nouveaux aréopages11, les espaces culturels du monde post-chrétien et post-sécularisé qui ont besoin d’être imprégnés par l’Évangile ?

    Peut-être, la perturbation, la rupture et la dissonance qui se manifestent dans notre existence quotidienne peuvent-elles nous conduire à la conversion. Que l’Esprit du Seigneur nous guide dans nos efforts pour devenir des témoins fidèles de l’Évangile dans un monde en mutation.   

    ____________

    1 L’expression “habitudes du cœur”, en anglais “habits of the heart”, vulgarisée par Robert Bellah, est empruntée à la Democracy in America d’Alexis de Tocqueville. Elle désigne simplement la somme des idées, opinions et notions qui façonnent nos habitudes mentales.

     2 Actes du 15e Chapitre général, p. 15.

     3 “La 35e liste annuelle des plus riches du monde établie par le magazine a atteint le chiffre sans précédent de 2 755 milliardaires, soit 660 de plus qu’il y a un an, dont la valeur totale s’élève à 13 100 milliards de dollars US, contre 8 000 milliards de dollars US dans la liste de 2020. 63 autres femmes sont devenues milliardaires, ce qui porte le total à 328. En tant que groupe, les femmes de la liste ont une valeur de 1,5 trillion de dollars US, soit une augmentation de près de 60 % par rapport à l’année dernière.” (www.dw.com › en › forbes-a-new-billionaire-every-17hours.)

     4 Voir Jared Diamond, The Rise and Fall of the Third Chimpanzee (Sta. Fe, NM: Radius, 1991).

     5 Voir Matthew Fox, The Original Blessing: A Primer in Creation Spirituality (Santa Fe, NM: Bear, 1983).

     6 Cette expression a été inventée par Herbert Spencer en 1864, après avoir lu l’ouvrage de Charles Darwin intitulé « On the Origin of Species».

     7 Voir Rodney Stark, The Rise of Christianity: How the Obscure, Marginal Jesus Movement Became the Dominant Religious Force in the Western World in a Few Centuries (San Francisco, CA: Harper, 1997).

     8 Actes du 15e Chapitre général, p. 33.

     9 Ibid., p. 13.

    10 “Pioneering Spirit in CICM: Brief History and Future Perspective,” unpublished paper delivered on November 6, 2018, dans the meeting of the General Committee on Mission, p. 7.

    11 Voir Redemptoris Missio, no. 37.


    Vers le 16e Chapitre général

    Jean Gracia ETIENNEpar Charles Phukuta, cicm 
    Supérieur général

     

    Convocation du Chapitre général

    Il y a quelques mois passés, j’ai envoyé une lettre à tous les confrères en vue de présenter le thème de notre 16e Chapitre général prochain. Cette lettre amorce ainsi le processus de préparation de ce Chapitre général qui se tiendra au Centro Ad Gentes, Rome, Italie, du 4 au 30 juin 2023. En ce mois de février, la lettre de convocation du 16e Chapitre général a été envoyée à tous les Supérieurs majeurs de la Congrégation. Cependant, la préparation et la célébration du Chapitre ne sont pas exclusivement une affaire des Supérieurs majeurs. Nous sommes tous invités à nous impliquer et à contribuer à son succès. Mais qu’est-ce qu’un Chapitre général ? Pourquoi est-ce si important ? Comment est-il lié à toute l’Église et qu’est-ce que cela a à voir avec vous ?


    La tenue des chapitres généraux dans les congrégations religieuses

    Tenir des chapitres généraux dans les congrégations religieuses est une pratique ancienne qui tire son origine de la vie monastique. Cela remonte au 6e siècle lorsque saint Benoît rassemblait les moines dans son monastère chaque semaine en vue de lire et d’examiner un chapitre de la Règle bénédictine. Benoît tenait à ce que l’opinion de chaque moine soit entendue. La salle où ils se rencontraient est devenue la salle du chapitre, et les rassemblements eux-mêmes ont été appelés chapitres. Au fur et à mesure que le nombre de monastères bénédictins augmentait, la pratique voulait que les représentants des différents monastères se réunissent pour une

    lecture et une discussion similaire. Au début du XIIIe siècle, les autorités ecclésiastiques ont déclaré que le rassemblement de représentants pour revoir leur vie était obligatoire pour toutes les congrégations religieuses.

    Au cours des siècles qui suivaient, la participation aux chapitres généraux s’est limitée à ceux qui occupaient des postes de direction. Ce n’est qu’après le Concile Vatican II (1962-1965) que le style et les résultats des chapitres généraux ont changé de manière significative. Ces derniers temps, il est d’usage que tous les membres d’une congrégation soient impliqués dans les étapes de préparation du chapitre. Ils ont le droit d’envoyer des souhaits et des suggestions dont le chapitre devra tenir compte. Un ami m’a dit : un chapitre général est comme une grande réunion de famille, ou comme un conclave (papal) sans fumée blanche. Il consiste en une série de réunions au cours desquelles les représentants de toute une communauté religieuse discutent sur des aspects importants de leur mode de vie et prennent des décisions déterminantes.


    Le Chapitre général dans nos Constitutions

    L’article 110 de nos Constitutions stipule : « Le Chapitre général vise à renouveler l’élan apostolique de l’Institut et à encourager ses membres dans la fidélité à leur vocation missionnaire religieuse ». Notre vie et notre mission présentes doivent être transformées par la puissance de l’Esprit Saint ; animées de la même ardeur avec laquelle nos prédécesseurs se sont laissé imprégner. Sans cette ardeur missionnaire et cette capacité de renouvellement, la Congrégation ne saurait être fidèle à sa mission.

    Dans ce sens, à l’occasion de notre 16e Chapitre général, nous sommes invités à réveiller notre charisme spécifique et à reprendre notre chemin avec courage.1 Nos Constitutions précisent le cadre pour parvenir à cet objectif. Le Chapitre général évalue la situation de l’Institut. Il s’efforce de reconnaître les besoins missionnaires du monde (voir). Considérant l’état de la Congrégation, le Chapitre s’efforce de reconnaître les besoins missionnaires du monde et les exigences concrètes posées à l’Institut par ces besoins (discerner). Le Chapitre général aura également la tâche de formuler les directives adéquates et prendre les décisions nécessaires (agir) sur base du résultat de notre processus de discernement.2

    Ainsi, toute la Congrégation se confronte à la Parole de Dieu et aux exigences de l’Évangile, notre objectif missionnaire et les défis du monde, les attentes des hommes et des femmes de notre temps, et les aspirations de nos confrères. Deux attitudes sont cruciales dans ce processus, à savoir : la disponibilité et la collaboration pour faire fructifier les inspirations et les projets de l’Esprit.

    Beaucoup d’entre nous pourraient facilement être tentés de dire : « le Chapitre n’est pas mon problème ; c’est l’affaire des Provinciaux et des délégués ». Cependant, la préparation et le succès du Chapitre ne sont pas réservés à eux seuls. Chaque confrère doit s’impliquer et contribuer à sa réussite. La participation de tous les confrères à la préparation rend le Chapitre représentatif de l’ensemble des membres de la Congrégation (Const., art. 109).

    Nos Constitutions et autres documents décrivent qui nous sommes, notre mission, et comment la remplir. Cependant, notre expérience vécue n’est pas toujours en harmonie avec les idéaux de nos documents. Par conséquent, le Chapitre général n’a pas à se consacrer à l’analyse de notre vision CICM. Il doit s’interroger à partir des faits de notre vécu. En plus des sujets essentiels tels que la Formation initiale, les Finances et le Leadership religieux, nous vous avons envoyé trois mémos centrés sur certaines situations qui méritent une attention particulière : Spiritualité et Mission,

    Réconciliation comme don de Dieu et tâche missionnaire, et Interculturalité : un témoignage. Notre réflexion sur ces situations a conduit les participants à la réunion spéciale du Gouvernement général à choisir le thème Témoigner de l’Évangile dans un monde en mutation pour notre 16e Chapitre général.

     

    Le 16e Chapitre général: un événement spirituel

    Comme je l’ai dit au début de cette réflexion et dans ma lettre de convocation, le 16e Chapitre général est un événement spirituel. Dès lors, la première action à entreprendre est la prière : réunis autour de Marie, en prière, attentifs à la voix de l’Esprit (Ac 1,12-14 ; 2,1-4). Laissons-nous inspirer par l’attitude de notre Patronne, la Bienheureuse Vierge Marie. La confiance, la solidarité fraternelle et l’ouverture d’esprit nous aideront à atteindre le but du Chapitre général : « renouveler l’élan apostolique de l’Institut et à encourager ses membres dans la fidélité à leur vocation missionnaire religieuse » (Const, art. 110).

    Le 16e Chapitre général est pour nous un temps pour raviver le feu du charisme originel CICM et rechercher honnêtement la volonté de Dieu pour l’avenir de notre mission CICM. Ainsi donc, dans notre préparation, nous devons réfléchir honnêtement sur la façon dont nous vivons les aspects de notre charisme, ainsi que notre spiritualité et notre mission CICM; comment nous faisons connaître l’amour miséricordieux de Dieu à nos frères et sœurs auxquels nous sommes envoyés. En d’autres termes, le Chapitre général est un moment pour nous demander : qu’est-ce que Dieu nous demande à nous CICM en ce moment dans l’Église ? Qu’est-ce que le peuple de Dieu nous demande à nous CICM aujourd’hui ? Qui sont les pauvres aujourd’hui ? Que veut dire l’évangélisation dans l’Église aujourd’hui ?

    Alors que nous nous préparons pour le Chapitre général, puissions-nous continuer à témoigner de l’Évangile par l’intégrité de notre foi et la sainteté de notre vie. Alors que nous recherchons l’esprit et le cœur de Dieu, nous prions humblement, par l’intercession du Cœur Immaculé de Marie, que notre Chapitre soit une œuvre profonde de l’Esprit Saint et qu’il change la vie de chacun de nous.

    logo capitolo

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    1 Redemptoris Missio, no. 66.

    2 CICM, Constitutions. Directoire commun, Rome, 1988, art. 110.


    L’imagination morale : de l’internationalité et de la multiculturalité à l’interculturalité

    Jean Gracia ETIENNEby Silvester ASA, cicm 
    Conseiller général  

     

    « L’imagination morale » est employée dans le cadre de la consolidation de la paix et de l’organisation communautaire depuis 2005. John-Paul Lederach, une autorité de renommée mondiale en matière de construction de la paix, définit l’imagination morale comme la « capacité d’imaginer quelque chose d’ancré dans les défis du monde réel, mais capable de donner naissance à ce qui n’existe pas encore ».1 Selon Lederach, la capacité innée de tisser une toile de relations inclusives est essentielle pour réaliser la paix dans un environnement pacifique.2 Il affirme en outre que l’imagination morale se révèle dans l’audace et la fidélité créative, qui contribuent de manière significative au succès des processus de consolidation de la paix et de changement.3 L’imagination morale est également un art des réseaux et de la collaboration, combiné à l’optimisme, la patience, le courage, la fidélité créative et la prise de risque. Il est surprenant de constater qu’en tant qu’art, l’imagination morale permet à la sérendipité de jouer un rôle clé.4  

    L’imagination morale est essentielle pour établir et maintenir la paix. Mais, je crois que nous pouvons tirer profit du merveilleux travail de Lederach et nous approprier l’imagination morale dans notre quête d’une vie communautaire plus constructive. On peut à juste titre se demander comment cela concerne la vie communautaire CICM. Je propose que nous examinions les termes d’internationalité et de multiculturalité qui sont couramment utilisés dans notre langage quotidien depuis des décennies pour répondre à cette préoccupation. Le fait que nous soyons issus de nombreuses nationalités et groupements culturels démontre que nous sommes internationaux et multiculturels. Cela est dit explicitement dans le 1er article des Constitutions CICM qui stipule que « la Congrégation est un Institut missionnaire religieux international. » En 2010, le Gouvernement général (GG) de la CICM a publié un document intitulé « Directives pour la Vie Multiculturelle en CICM ». Le GG espérait que ce document deviendrait « un outil qui aidera tous les confrères à mieux vivre ce don du caractère multiculturel dans notre chère Congrégation ».5 En outre, le 15e Chapitre général de la CICM a proposé « notre fraternité universelle et multiculturelle » comme un moyen efficace d’animation des vocations.6 Aussi, en nommant les Formateurs dans les Communautés de Formation initiale, l’actuelle GG tient compte de l’internationalité et de la multiculturalité. 

    L’internationalité et la multiculturalité sont sans aucun doute devenues partie intégrante de notre vie quotidienne. Cependant, il en va peut-être de même dans tous les autres endroits de la planète. Lorsque vous entrez dans un aéroport comme le O’Hare de Chicago, vous êtes entourés de personnes internationales et multiculturelles. Certes, nous ne pouvons pas exclure la possibilité qu’une rencontre intime ait lieu dans un tel cadre public. Toutefois, sans vouloir porter de jugement sur qui que ce soit, nous pouvons estimer que les contacts entre les personnes dans un tel espace sont généralement superficiels. Par exemple, vous pouvez prendre une tasse de cappuccino dans un Starbucks de l’aéroport international O’Hare sans avoir à vous demander si les grains de café sont issus du commerce équitable. Le symbole de l’amour, par contre, est bien visible sur la surface de votre cappuccino. Vous n’avez pas non plus le temps de vous demander si la personne qui vous sert un café aussi riche est un Lakota ou un immigrant d’Amérique latine, d’Europe ou d’Asie qui a par hasard vécu dans le quartier sud de Chicago, ou « une maigre jeune fille noire, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire ».7  

    Mais si vous vous interrogez sur la situation sociale des individus que vous rencontrez et que cela vous conduit à une toute nouvelle façon de comprendre la réalité et vous incite à vous comporter avec empathie et compassion, vous venez peut-être de franchir le seuil de l’interculturalité grâce à votre imagination morale. On peut vivre dans un environnement international et multiculturel où chacun s’efforce de vivre une coexistence pacifique et évite les conflits à tout prix. L’internationalité et la multiculturalité sont, après tout, des réalités que l’on peut tenir pour acquises. Cependant, dans un cadre interculturel idéal typique, chacun s’efforce « d’entrer dans une relation mutuellement enrichissante et stimulante de compréhension, d’acceptation et d’attention – au point de partager un univers de valeurs au sens le plus profond – avec une personne d’une culture différente de la sienne ».8 Ainsi, nous quitterions nos zones de confort dans la vie interculturelle pour célébrer notre diversité et notre unicité et être mis au défi et enrichis par nos rencontres avec des personnes saintement différentes.

    «Mais si vous vous interrogez sur la situation sociale
    des individus que vous rencontrez et que cela vous
    conduit à une toute nouvelle façon de comprendre
    la réalité et vous incite à vous comporter
    avec empathie et compassion, vous venez peut-être
    de franchir le seuil de l’interculturalité
    grâce à votre imagination morale.»

     

    L’histoire de Cléopas et de son compagnon sur la route d’Emmaüs dans Luc 24,13-35 est un parfait exemple d’imagination morale dans sa forme la plus pure. Les deux disciples découragés auraient pu sans effort ignorer l’étranger apparemment curieux et retourner à leur vie quotidienne. Cependant, ils ont choisi de s’engager à fond avec l’étranger et de laisser leur imagination morale suivre son cours. Grâce à leur rencontre providentielle avec un étranger en chemin, Cléopas et son compagnon ont finalement bien saisi la situation. Quoi qu’il en soit, la vérité est indéniablement apparente. Notre rencontre avec un étranger ainsi que notre disposition à utiliser notre imagination morale peuvent nous aider à (re) découvrir notre véritable vocation et à approfondir notre relation avec le Seigneur ressuscité. Le résultat d’une telle rencontre est ce qu’il y a de si unique. Cléopas et son compagnon ont été revitalisés par leur rencontre avec l’Étranger, qui s’est révélé n’être autre que le Seigneur ressuscité et ils se sont précipités à Jérusalem avec enthousiasme pour en parler aux autres.

     

    foto articolo Silvester Asa

    La CIFA reçoit la visite de deux Conseillers généraux en novembre 2021 (Cameroun)

     

    Certains d’entre nous peuvent être fatigués d’entendre parler d’internationalité et de multiculturalité comme Cléopas et son compagnon avant leur rencontre avec le Seigneur ressuscité. Mais je crois que beaucoup d’autres sont comme Cléopas et son compagnon après leur rencontre avec le Seigneur ressuscité. Beaucoup d’entre nous continuent à être reconnaissants pour la nature internationale et multiculturelle de notre Congrégation malgré nos imperfections. Ce n’est que le début du voyage interculturel. Il nous reste à laisser libre cours à notre imagination morale et à faire en sorte que nos rencontres, avec les personnes saintement différentes, nous interpellent et nous enrichissent mutuellement. Lorsque ce moment arrivera, j’espère que vous venez de finir votre café à O’Hare et que vous avez laissé un gros pourboire à la personne qui vous a servi. Pour le pasalubong de Noël à votre communauté, n’oubliez pas un paquet d’andouillettes ou une bouteille de Johnny Walker de toute étiquette. Réjouissez-vous, car lorsque vous rentrerez chez vous, votre choix de mosselen-friet ou de bœuf argentin accompagné de Moutarde de Dijon ou de couscous et gombo, accompagné de bangus et de sambal piri-piri, vous attendra.  

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    1 John Paul Lederach, The Moral Imagination: The Art and Soul of Building Peace (Oxford, NY: Oxford University Press, 2005), p. 29.

    2 Je m’approprie la terminologie d’Eric Law, ‘Peaceful Realm.’ Eric H.F. Law, The Wolf Shall Dwell with the Lamb: A Spirituality for Leadership in a Multicultural Community (St. Louis: Missouri, Chalice Press, 1993), p.3.

    3 Lederach, The Moral Imagination, p. 5.

    4 Lederach, The Moral Imagination, p. 19.

    5 CICM, Directives pour la Vie multiculturelle en CICM (Roma, 2010), p. 3.

    6 CICM, Actes du 15e Chapitre général (Roma, 2017), p. 5.

    7 Amanda Gorman, “The Hill We Climb,” Amanda Gorman’s inauguration poem, ‘The Hill We Climb’ – Harvard Gazette

    8  Stephen B. Bevans and Roger P. Schroeder, SVD., Prophetic Dialogue: Reflections on Christian Mission Today (Maryknoll, New York: Orbis Books, 2011), p. 72.


    La spiritualité et nos engagements missionnaires

    Jean Gracia ETIENNEPar Jean-Gracia ETIENNE, cicm 
    Conseiller général

     

    Le titre choisi pour notre réflexion s’inscrit dans la ligne de la préparation de notre 16e Chapitre général qui se tiendra à Rome en juin 2023. Le thème choisi pour ce Chapitre est : « Témoigner de l’Évangile dans un monde en mutation ». L’un des trois thèmes retenus pour guider nos réflexions dans les mois à venir par la réunion élargie du Gouvernement général (GG) de juillet 2021 est : « Spiritualité et Mission. Ainsi, réfléchissons ensemble sur ce thème en tant que missionnaires religieux CICM.

    Qui sommes-nous ? Quelle est notre mission commune dans le monde d’aujourd’hui ? Quelles sont les exigences que cette mission pose à chacun d’entre nous ?

    Les confrères qui ont écrit le Commentaire du chapitre I des Constitutions CICM affirment que ce chapitre décrit les traits essentiels de la Congrégation. Dans ce chapitre, les éléments qui définissent l’identité de la CICM sont présentés : vocation missionnaire et religieuse, les tâches et la spiritualité. Les articles 1 et 2 de nos Constitutions fournissent les données qui permettent d’identifier la Congrégation et la situer dans l’Église. Ils formulent le but que ses membres poursuivent, les grands défis auxquels ils sont confrontés et qu’ils veulent relever en tant que missionnaires religieux CICM. Enfin, l’article 2 de nos Constitutions propose également les choix qui caractérisent CICM et recommande les attitudes fondamentales que doit incarner chaque membre dans sa vie. Ainsi, cet article est considéré comme le manifeste missionnaire de notre Institut.[1] Mais tout cela est-il clair pour tous les membres de l’Institut ? Vivent-ils tous tout cela de la même manière ?

    Tension historique entre les deux dimensions de notre vocation : missionnaires et religieux

    Au cours de son histoire, certains membres de l’Institut se sont perçus comme étant plus missionnaires que religieux dans l’accomplissement de leur mission. Certains l’ont ouvertement affirmé. D’autres l’ont démontré par leur style de vie au quotidien. Les Chapitres généraux et les Supérieurs généraux ont fait des efforts pour encourager tous les membres de l’Institut à obéir aux règles de nos Constituions. Dans le passé récent, nous pouvons rappeler ce que le 13e Chapitre général a dit à ce sujet. En effet, après avoir constaté certaines négligences de la part de certains membres de l’Institut dans la pratique de leur vie missionnaire religieuse, le Chapitre a affirmé : « Nous nous définissons comme des missionnaires religieux. Chez beaucoup d’entre nous, cependant, l’aspect missionnaire semble l’emporter sur la dimension religieuse de notre vie. Au mieux, il y a une tension. Au pire, on relève l’embarras du choix. Faut-il choisir entre l’un et l’autre? Le Chapitre affirme qu’il n’est pas question de faire le choix. Nous sommes missionnaires et religieux. La vie religieuse avec ses exigences est notre façon concrète, comme CICM, de collaborer à la mission de l’Église. L’engagement missionnaire et la consécration religieuse sont faits pour s’enrichir mutuellement et non pas pour s’opposer. L’un et l’autre devraient, aux niveaux individuel et collectif, s’intégrer harmonieusement. […]»[2]. Le 13e Chapitre général a donc invité les membres de l’Institut à améliorer leur vie religieuse afin de renforcer leur spiritualité missionnaire.

    Constat de la réunion élargie du GG dans le cadre de la préparation du 16e Chapitre général de 2023

             Dans le cadre du lancement de la préparation du 16e Chapitre général de l’Institut, le GG avait organisé une réunion à Nemi, Italie, du 19 au 24 juillet 2021. Quatre autres confrères ont pris part à cette réunion comme consultants. Au début de cette réunion, les participants ont réfléchi en petits groupes sur le passé récent de l’Institut (15-20 années), sur la réalité présente de l’Institut et sur des rêves pour les 15-20 années à venir. Dans leurs réflexions, les participants ont aussi pris en considération la Formation initiale et permanente, le leadership et les finances. Le but de ces exercices était d’identifier les changements et transformations significatifs dans la mission CICM et discerner les orientations à donner au prochain Chapitre général pour répondre plus efficacement aux défis du présent et du futur.

             Les participants ont énuméré certaines choses positives que la Congrégation a pu réaliser dans les 20 dernières années pour mieux participer à la Missio Dei, grâce aux orientations des Chapitres généraux, à la publication des documents importants, à la restructuration, à l’engagement des membres de l’Institut dans des domaines variés de la mission, etc. En général, les membres de la Congrégation font de leur mieux pour accomplir leur mission, que ce soit Ad extra ou Ad intra. Il en effet est très rare d’entendre les plaintes concernant le manque de zèle missionnaire des membres de la Congrégation dans leurs champs de mission. Cependant, nous devons continuer à proclamer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ avec plus d’ardeur. Car, comme a déclaré saint Jean-Paul II : « L’annonce a, en permanence, la priorité dans la mission. L’Église ne peut se soustraire au mandat explicite du Christ, elle ne peut pas priver les hommes de la Bonne Nouvelle qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés par lui. […] »[3].

             Néanmoins, en réfléchissant sur ce qui doit être amélioré et à ce qui a fait défaut dans la vie quotidienne des membres de l’Institut, il a été noté, entre autres le manque de vie spirituelle intense, le manque de fidélité aux vœux religieux, le manque de réconciliation entre les membres. Après ce constat les participants à la réunion élargie du GG ont estimé qu’il y a un besoin urgent d’un retour à l’essentiel de la vie religieuse : être fidèle aux vœux, à la prière, à la contemplation, à la réconciliation et la vie communautaire. Ce constat et d’autres défis actuels ont inspiré le thème du prochain Chapitre général : Témoigner de l’Évangile dans un monde en mutation. Dans ce contexte, le témoignage implique l’annonce, le style de vie et la présence, car dans de nombreux cas, cela pourrait être la seule manière possible d’être missionnaire[4]. C’est aussi dans cette optique que Sa Sainteté le Pape Paul VI a déclaré : « […] C’est donc par sa conduite, par sa vie, que l’Église évangélisera tout d’abord le monde, c’est-à-dire par son témoignage vécu de fidélité au Seigneur Jésus, de pauvreté et détachement, de liberté face aux pouvoirs de ce monde, en un mot, de sainteté ».[5]


    Puisque nous avons choisi de parler de spiritualité, il nous semble important de définir cette dernière.
    Que signifie la spiritualité chrétienne dans le contexte catholique ?

    Nous choisissons de croire que le propre de la spiritualité est l’aspect historique incarné, qui conduit à l’appeler ou à la définir comme une forme concrète et visible que tout chrétien donne à l’action que Dieu dans le Christ accomplit en lui par l’Esprit Saint. La spiritualité est donc plus pratique ; elle concerne l’expérience que le chrétien ou la chrétienne exprime et incarne dans la condition socioculturelle religieuse particulière qui constitue l’habitat quotidien de l’homme. La spiritualité peut donc être définie comme une manière historique de comprendre et de vivre le message de l’Évangile, selon la foi et la vie de l’Église, ou comme un style de vivre l’Évangile dans une situation donnée[6].

    Plus largement, elle peut être comprise comme une reformulation et un réaménagement des grandes coordonnées de la vie chrétienne en fonction de «l’aujourd’hui,» des réalités concrètes dans lesquelles nous devons vivre et des services concrets que nous sommes appelés à rendre[7]. De plus, la spiritualité concerne les diverses formes de vie propres à l’état de vie ou à la famille religieuse dans laquelle on est appelé à accomplir la Sequela Christi ; elle nous invite aussi à parler de la spiritualité des personnes individuelles, en vertu du principe de l’unicité de chaque personne[8]


    Quelques éléments de la spiritualité CICM

    Nous nous limitons à rappeler l’approche du 14e Chapitre général de l’Institut sur cette question. En effet, en tentant d’évaluer la qualité de la vie religieuse personnelle et communautaire des membres de l’Institut, le 14e Chapitre général posait la question suivante : « Est-ce que notre vie missionnaire religieuse s’est améliorée au cours des dernières années? ». Pour répondre à cette interrogation, les Capitulants d’alors avait réfléchi sur le thème de la spiritualité missionnaire CICM. Celle-ci a été définie comme étant le « style de vie d’une personne qui est engagée à vivre le plus authentiquement possible toutes les conséquences de sa condition de disciple de Jésus et de membre de CICM à chaque moment de sa vie et dans toutes ses relations »[9].

    Ensuite, le Chapitre, se basant sur les articles 1 et 2 de nos Constitutions, affirme que la spiritualité missionnaire CICM a cinq piliers, à savoir que tous les membres de l’Institut sont

    « 1. Dédiés au Verbe Incarné sous le titre et le patronage du Cœur Immaculé de Marie

    2. Envoyés aux nations pour annoncer la Bonne Nouvelle… 

    3. À travers une vie consacrée

    4. En étant des hommes de prière et

    5. Dans une communion fraternelle»[10].

    Par ailleurs, le Chapitre reconnaît et apprécie les efforts de chaque membre de l’Institut pour soutenir une relation permanente avec le Seigneur dans sa vie quotidienne. Il a aussi mis l’accent sur la compréhension de l’identité des membres de l’Institut comme missionnaires religieux et les a encouragés à vivre leurs vœux de manière cohérente[11]. C’est tout un programme de vie que chaque membre de la Congrégation est appelé à intégrer dans sa vie quotidienne.

    Quelques éléments nouveaux ajoutés à ces cinq piliers de la spiritualité missionnaire CICM par le 15e Chapitre général

    Le 15e Chapitre général se proposait d’examiner, entre autres, le charisme de l’Institut avec une vision renouvelée, tout en se laissant inspiré et fortifié par les œuvres missionnaires de notre Fondateur et ses premiers compagnons. Ainsi les capitulants ont décidé que « l’enracinement dans la tradition missionnaire de l’Église et le charisme originel de notre Fondateur, une audace renouvelée et une créativité évangélique, et une vision audacieuse et optimiste de l’avenir — détermineront notre présence missionnaire dans les années à venir »[12]. Mais ce Chapitre a reconnu aussi le fait qu’il y a beaucoup d’obstacles qui empêchent les membres de l’Institut de réaliser leurs rêves missionnaires. En outre, il a reconnu que l’un de ces obstacles est le souci exagéré de la survie de l’ensemble des membres de l’Institut, leurs œuvres et leurs activités.[13]

    C’est pourquoi, le Chapitre avait manifesté le souci de favoriser, dans les années à venir, une attitude positive chez les membres de l’Institut, les invitant à se regarder positivement et d’être fiers et reconnaissants envers le Seigneur d’être des missionnaires CICM.

    Mettre la spiritualité chrétienne, religieuse et congrégationnelle en action

             Nous voudrions souligner la nécessité de mettre quotidiennement la spiritualité chrétienne au service du charisme de notre Institut et de notre mission en citant le canon 673 du Code de droit canonique de 1983 : « L’apostolat de tous les religieux consiste en premier lieu dans le témoignage de leur vie consacrée, qu’ils sont tenus d’entretenir par la prière et la pénitence ». Nous constatons que le Législateur suprême lie nos activités apostoliques au témoignage de vie. Comme nous l’avons mentionné plus haut, nous ne pouvons cesser de rechercher nos frères et nos sœurs pour nous mettre à leur service. Parallèlement, nous participons aux apostolats de l’Église tout en mettant un accent particulier sur le témoignage de notre vie entretenue par la prière et la pénitence. La dynamique de croissance de la vie spirituelle de chacun de nous vers la pleine réalisation de soi est illustrée à travers l’image du cheminement et de la construction. La croissance prend le sens du travail, de la fatigue, de l’exercice constant, accompli par chacun dans une fidélité radicale à son être de créature nouvelle dans le Christ[14].

             Pour plus d’efficacité et durabilité de ce combat continu, nous devons nous entraider dans ce processus, car le canon 602 du Code de 1983 nous dit que : « La vie fraternelle, propre à chaque institut, qui unit tous les membres dans le Christ comme dans une même famille particulière, doit être réglée de façon à devenir pour tous une aide réciproque pour que chacun réalise sa propre vocation. Qu’ainsi par la communion fraternelle, enracinée et fondée dans l’amour, les membres soient un exemple de la réconciliation universelle dans le Christ ». C’est donc au nom de sa vision religieuse et communautaire que chaque membre d’une communauté remettra en question le modèle d’une société qui ne fait pas justice à tous ses membres, qui empêche l’ouverture à Dieu. Dans ce contexte, nos Supérieurs religieux ont un rôle important à jouer au sein de leur communauté pour favoriser un climat propice au développement religieux, humain et social de chaque membre.

             Par ailleurs, sans vouloir énumérer et examiner les diverses qualités requises pour l’exercice du leadership dans ce contexte précis, il nous semble important de rappeler ces mots lumineux de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, dans son Instruction sur le service de l’autorité et l’obéissance : « La personne appelée à exercer l’autorité doit savoir qu’elle ne pourra le faire que si auparavant elle entreprend le pèlerinage qui conduit à rechercher avec intensité et droiture la volonté de Dieu […]. L’autorité doit agir en sorte que les frères et les sœurs puissent percevoir que, quand elle commande, elle le fait uniquement pour obéir à Dieu »[15]. En définitive, ce n’est qu’en étant ouvert à Dieu, aux autres et à l’avenir qu’il y a moyen d’établir d’authentiques relations au sein de nos communautés religieuses sous la conduite d’un Supérieur qui cherche sincèrement à servir humblement.

             Enfin, nous devons à tout moment nous laisser guider par l’Esprit Saint pour que nous soyons en mesure de réaliser avec audace et courage notre vocation et notre mission dans l’Église et dans le monde de ce temps avec ses multiples défis. En d’autres mots, sans le Christ nous ne pouvons rien faire malgré notre vocation et notre mission. C’est pourquoi nous devons toujours rester unis à Lui comme pour la vigne et les sarments (cf. Jn 15,5). Mettons toujours et en tout lieu notre confiance indéfectible en la Sainte Trinité. Les difficultés que nous aurons à rencontrer sur nos chemins ne doivent pas nous décourager. Au contraire, avec une nouvelle détermination, nous devons continuer à apporter notre contribution spirituelle et apostolique à l’Église du Christ. En route pour un avenir meilleur !

     

    [1] Cf. Constitutions CICM Commentaire Chapitre I : Notre Institut, deuxième Edition, Rome 2007, p. 5.

    [2] Actes du 13ème Chapitre général CICM, Rome 2005, p. 14.

    [3] Lette encyclique Redemptoris Missio, n°44.

    [4] Cf. Stephen B. Bevans & Roger P. Schroeder, Constants in context. A Theology of Mission for Today, p. 353. Orbis Books, Maryknoll, 2004.

    [5] Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n°. 41.

    [6] Cf. Carlo Laudazi, L’uomo chiamato all’unione con Dio in Cristo. Temi fondamentali di teologia spirituale, Teresianum OCD, Roma, 2013, p. 9.

    [7] Cf. C. Garcia, Corrientes actuales de espiritualidad, p. 7. Cité par Carlo Laudazi, L’uomo chiamato all’unione con Dio in Cristo. Temi fondamentali di teologia spirituale, p. 9.

    [8] Cf. Carlo Laudazi, Op. cit. p. 9.

    [9] William Wyndaele, cité dans les Actes du 14ème Chapitre général CICM, Rome 2011, p. 8.

    [10] Actes du 14ème Chapitre général CICM, Rome 2011, p. 8.

    [11] Cf. Ibid., p. 9-10.

    [12] Actes du 15ème Chapitre général, Rome 2017, p. 14-15.

    [13] Ibid., p. 15. 13.

    [14] Cf. Carlo Laudazi, Op. cit., p. 17.

    [15] Le service de l’autorité et l’obéissance Facem Domine requiram, in DC, 6 juillet 2008, n. 2405, p. 630-651.