Par Jozef Matton, cicm
Vivre en communauté ne constitue pas un quatrième vœu dans la vie religieuse. Et pourtant, lorsqu’on lit l’un ou l’autre article sur la vie religieuse, on y rencontre souvent l’importance attachée à la vie communautaire. Celle-ci est un élément constitutif de la vie religieuse. Certes, il y a les ermites qui ont choisi une vie en solitude. Mais je pense que presque toutes les congrégations religieuses actives ont opté pour une vie en communauté. Notre Congrégation ne fait pas exception à cela.
Nos documents
Nos Constitutions renferment des articles sur la vie communautaire. L’article 17 affirme : « Suivant Jésus, en communauté de frères, nous proclamons que Dieu est la réalité dernière de nos vies et nous maintenons vivante parmi les hommes l’espérance du Royaume et de sa justice. »
L’article 23 affirme clairement que le soutien d’une communauté fraternelle nous aide à assumer dans la foi la solitude inhérente au célibat.
L’article 51 affirme que « pour autant que notre apostolat le permet, nous vivons ensemble en communauté. Dans la vie communautaire, nous affermissons les liens qui nous unissent. Un projet commun donne plus de force au témoignage de notre parole et de notre travail. L’hospitalité cordiale caractérise nos communautés. »
Le Chapitre général de 2011 affirme avec force l’importance d’une vie en communauté.
« Ce Chapitre met fortement l’accent sur la compréhension de notre identité comme missionnaires religieux. Comme missionnaires religieux CICM, « notre identité et notre mission sont liées au niveau communautaire ». Nous vivons dans des communautés internationales et multiculturelles en vue de témoigner du Royaume de Dieu dans un monde caractérisé par la division entre les races, les cultures et les nations.
En CICM, la communauté n’est pas seulement pour la mission, mais elle est mission. Ce Chapitre comprend que lorsque la vie en communauté est vécue avec intensité, la vie religieuse est consolidée. Quand nous sommes clairs sur notre identité et quand nous nous en approprions, nous sommes enthousiastes à réaliser notre mission comme un engagement collectif » (Actes du 14e Chapitre général CICM, p. 10).
La communauté est mission : quelle tâche, quelle responsabilité !
Plusieurs autres documents CICM affirment que la vie en communauté est, pour nous, missionnaires religieux CICM, de grande importance et de grande valeur. Elle ne constitue nullement un détail anodin. Même si au cours de l’histoire de notre Congrégation, cet aspect de vie en communauté a été discuté et même remis en question plus d’une fois.
Ce que j’ai vu et entendu
Au cours des années comme CICM, j’ai aussi entendu de nombreux commentaires et d’affirmations sur la vie communautaire. Certains m’ont surpris et étonné.
Par exemple, il y a plusieurs années déjà, j’ai entendu un confrère qui venait à peine d’être ordonné prêtre dire : « Moi, vivre dans une communauté, jamais ! »
Un autre confrère disait qu’il regrettait de ne jamais avoir été nommé seul dans une paroisse.
Ces confrères ont pourtant vécu en communauté durant tout leur parcours en Formation initiale : noviciat, philosophie, théologie, stage en paroisse… Parfois, cette vie en communauté pouvait durer plus de 10 ans.
J’ai aussi connu des communautés — si l’on peut parler de communautés dans ces cas-là — où les confrères vivaient sous le même toit, mais ne priaient pas, ne mangeaient pas, ne se détendaient pas ensemble, voire même ne se parlaient pas pendant la journée. Oui, vivre sous le même toit n’est pas encore vivre en communauté.
Pourquoi cette envie de vivre seul ? C’est comme si la vie en communauté est considérée comme une menace pour sa vie privée.
Dans plusieurs Provinces, en lien avec l’article 51 de nos Constitutions, les responsables ont fait un effort pour que les confrères ne vivent pas seuls dans une paroisse. Et je suis heureux de voir que les nouveaux confrères qui arrivent dans une Province sont davantage nommés pour renforcer ou créer une équipe de vie dans une paroisse et non pas pour commencer une nouvelle insertion.
Pour l’une ou l’autre raison, les confrères qui vivent seuls sont rattachés à une communauté de référence. Ces confrères sont invités aux récollections ou autres activités de la communauté. Et certains y participent avec beaucoup d’enthousiasme. C’est le cas en BNL par exemple.
Mgr Johan Bonny, l’évêque d’Anvers en Belgique, disait explicitement qu’il voulait une communauté religieuse internationale lorsqu’il a demandé des missionnaires CICM dans son diocèse.
Un défi
Certes, la vie communautaire est une exigence pour la vie religieuse et missionnaire. Mais nous devons reconnaître que la construction d’une communauté saine reste un défi. Par exemple, en lisant pour écrire cet article, je suis tombé sur le site web des Pères Jésuites d’Afrique de l’Ouest. J’y ai lu quelque chose qui, à mon avis, n’est pas seulement important pour les jésuites, mais peut aussi nous faire réfléchir :
Il faut, pour vivre en communauté, développer en soi une capacité d’attachement fraternel, d’écoute, de respect de l’autre, de franchise et de vérité dans les rapports, d’attention, d’amitié, de compréhension, de bienveillance et de miséricorde.
« Il faut être capable d’entrer avec ses frères dans une prière commune, dans un échange sur la vie et l’apostolat, dans une réflexion, une recherche, un discernement, qui soient au bénéfice de tous. Il faut pour cela pouvoir faire taire en soi l’égocentrisme, l’individualisme ou la tentation de l’isolement ; il faut pouvoir dépasser l’esprit partisan ou fermé…
En somme, la dimension communautaire de notre mission n’est pas acquise une fois pour toutes, mais elle demande un effort pour la renouveler et la consolider constamment. »
Il est évident que vivre en communauté, loin d’être un acquis, constitue plutôt un défi qu’il faut relever au quotidien.
Cependant, j’ai l’impression que l’usage de certains moyens de communication ne favorise pas toujours une vie en communauté. Prenons garde que nos smartphones, nos tablettes, nos ordinateurs, etc. ne prennent pas la place de nos confrères.
Soyons en même temps conscients que nous sommes appelés à une mobilité et ne serons donc jamais membres d’une même communauté pour toute notre vie.
Des opportunités
Nous avons tous besoin d’une communauté qui nous soutient ! Dans son encyclique Fratelli Tutti, le Pape François écrit à cet effet :
« Nul ne peut affronter la vie dans l’isolement. Nous avons besoin d’une communauté qui nous soutient, qui nous aide et dans laquelle nous nous entraidons pour regarder vers l’avenir. Qu’il est important de rêver ensemble ! Seul, on risque d’avoir des mirages par lesquels tu vois ce qu’il n’y a pas ; les rêves se construisent ensemble » (no. 8).
Une vie fraternelle et solide en communauté nous aide aussi à vivre et à rester fidèles à nos engagements religieux faits le jour de notre première profession. Sans aucun doute, une bonne communauté peut jouer le rôle de contrôle social bénéfique.
Expériences et engagement
Nous avons tous quelque chose en commun. En effet, nous avons vécu au moins pendant quelques années dans une communauté. Ainsi, nous avons tous fait l’expérience d’une vie communautaire, soit positive, soit négative.
Chacun a au moins une idée sur ce qui peut être positif pour construire une bonne vie communautaire et sur ce qui peut être un obstacle ou même ce qui peut détruire une vie en communauté.
Et, nous savons tous qu’une bonne vie communautaire demande un engagement des responsables de la communauté — car ils ont une responsabilité essentielle à cet égard — et de chaque membre de la communauté. L’engagement commence tout d’abord chez soi-même. N’attendons pas tout de la part des autres. C’est un engagement personnel et communautaire !
Trouver du temps pour les autres, prier ensemble, manger ensemble et se détendre ensemble sont là des moyens qui peuvent contribuer à ce que notre vie en communauté soit plus qu’une vie sous le même toit.
Pour finir, cet article est le dernier que je publie dans la rubrique « Pour Notre Réflexion » alors que je termine mon mandat de Conseiller général en juin 2023. Je ne suis pas un écrivain. Même à l’école primaire et secondaire, mes notes en « rédaction » étaient plutôt maigres. Cela n’a jamais été mon point fort. Merci à tous ceux qui ont relu et qui ont traduit mes articles. Je n’oublie pas de remercier ceux qui m’ont fait parvenir leurs commentaires sur mes articles. J’ai vraiment apprécié ces commentaires. Bonne chance à tous.
par Adorable Castillo, cicm Vicar
Nous avons célébré dans la joie, le 28 novembre 2022, le 160e anniversaire de la fondation de notre Congrégation et bientôt, le 12 juin 2023, nous célébrerons solennellement le bicentenaire de la naissance de Théophile Verbist, notre Fondateur. Permettez-moi de faire une comparaison entre les débuts et la situation actuelle de notre Congrégation. Je ne mentionnerai qu’un aspect particulier, à savoir la disponibilité de nos ressources financières ainsi que leur gestion. Nous sommes conscients que certains confrères ont manqué de rigueur en matière de gestion financière. Comme il est dit dans les Actes du 15e Chapitre général : « Nous avons observé quelques cas de mauvaise gestion et de fraude financière ».[1] L’une des causes de cette situation malheureuse serait peut-être la disponibilité de ressources suffisantes, voire abondantes, à notre disposition. Certains confrères n’ont pas su les utiliser à bon escient. Ils ont apparemment perdu leur repère moral, ont succombé à la tentation et se sont laissés égarer.
Dans une lettre (n° 549) adressée au noviciat de Scheut le 20 octobre 1867, Verbist écrit : « Tous les commencements sont difficiles et je sais mieux que quiconque qu’avec la meilleure volonté on ne fait pas toujours ce que l’on voudrait. Dès le début, nous nous sommes trouvés dans des alternatives pénibles... Nous devons songer à fonder une Congrégation solidement vertueuse, si nous voulons atteindre le but que nous nous sommes proposé ... Les forces spirituelles acquises doivent surpasser de beaucoup les forces corporelles. »
Verbist fit de son mieux pour obtenir des ressources financières suffisantes pour le succès de son aventure missionnaire. Il reçut un soutien financier de diverses sources, telles que la Sainte Enfance, la Propaganda Fide et les catholiques ordinaires d’Europe. Il se lança dans un voyage missionnaire, bien sûr, non sans « nourriture, sac ou argent » (Mc 6, 8). Mais sa plus grande force était sa foi en la Divine Providence. Permettez-moi de citer des extraits de certaines de ses lettres.
– Ma grande confiance en Dieu qui m’imposait la Mongolie tout entière me rassurait toujours que les moyens ne m’auraient pas manqué, Lettre 458
– Le bon Dieu nous préserve de catastrophes, nos chrétiens sont en permanence à l’église implorant le secours du ciel. J’ai la confiance qu’Il ne restera pas sourd à nos supplications et qu’Il nous enverra au moins de quoi ne pas mourir de faim, Lettre 493
– Le bon Dieu sait bien que sans argent il n’y a pas moyen de faire son œuvre. Il ne nous le refusera pas, Lettre 533.
Aujourd’hui, le défi est de savoir comment tirer une leçon des bonnes actions de Verbist et de ses premiers compagnons, en particulier comment gérer nos ressources suffisantes et les utiliser à bon escient. Comment maintenir une proportionnalité créative ? Verbist a trouvé à juste titre une formule. « Ce qui leur manquait en ressources financières, ils l’ont compensé avec leur foi et leur enthousiasme. »[2] Lorsque les ressources étaient limitées, la foi et l’enthousiasme abondaient. Qu’en est-il de nous ? J’espère que la relation inverse ne sera pas vraie. J’ai fait ici un schéma pour que chaque confrère puisse remplir le vide et prendre à cœur ce défi :
Autour de 1862 : manque de ressources financières ----une grande foi et un enthousiasme abondant
Autour de 2023 : des ressources suffisantes-------_________________
Après plus de 160 ans depuis notre fondation, nous avons construit des infrastructures matérielles importantes pour la Congrégation et rassemblé suffisamment de ressources financières pour nos besoins ad intra et ad extra. Qu’en est-il de nos « forces spirituelles » ? Pouvons-nous nous revendiquer le même effort aussi louable que celui de Verbist ? Avons-nous assez de foi pour déplacer des montagnes ? Avons-nous le même enthousiasme missionnaire que Verbist et ses premiers compagnons pour faire face aux défis du 21e siècle ?
Les « forces spirituelles » dont je parle sont les éléments d’une spiritualité missionnaire émergente de CICM. Il semble que la spiritualité signifie simplement participer et multiplier des exercices spirituels comme les prières communautaires, les messes, les dévotions, les récollections et les retraites. Je crois effectivement que toutes ces activités sont nécessaires et importantes pour une communauté religieuse comme la nôtre. Cependant, nourrir une spiritualité missionnaire ne se limite pas à s’engager dans les divers exercices spirituels mentionnés ci-dessus. La spiritualité missionnaire est un mode de vie, une série d’attitudes et de dispositions justes, une vision renouvelée du rôle de l’Église dans le monde et un engagement profond dans la transformation missionnaire de toute l’Église, comme l’a réitéré le Pape François dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium. Un bon nombre de confrères ont déjà écrit des articles et des brochures sur certains aspects de la spiritualité CICM (Pierre Lefebvre, Michel Decraene, Eric Manhaeghe, Jean-Gracia Etienne, et autres). J’ai également essayé d’identifier certains « ingrédients » de la spiritualité missionnaire CICM dans certains articles que j’ai publiés dans Chronica. Je me contenterai d’en énumérer trois et de décrire brièvement chacun d’entre eux.
La mission ad gentes et ad extra
En tant que missionnaires ad gentes, nous sommes exhortés à être proches des gens, attentifs à leurs besoins et à être solidaires avec eux, en particulier dans les situations de pauvreté et d’injustice. C’est une expression de la « spiritualité de l’incarnation ». En tant que Congrégation dédiée au Verbe Incarné, nous sommes censés dialoguer avec les cultures et les religions en nous consacrant à la première évangélisation. En tant que missionnaires ad extra, nous sommes exhortés à incarner l’attitude de « mobilité, de disponibilité et de “désinstallation” » telle que décrite dans les Actes du 9e Chapitre général (1981).
D’une part, la mobilité est la disposition à laisser derrière soi son confort personnel et à mettre de côté ses préférences personnelles afin de relever de nouveaux défis missionnaires. D’autre part, l’immobilité est plus que l’inactivité. Elle implique aussi l’usurpation, car elle suppose une appropriation et une occupation d’un espace qui, le plus souvent, ne nous appartient pas.
La disponibilité signifie être à l’écoute des « signes des temps » afin d’être au service de la mission universelle de l’Église qui exige que nous allions aux « périphéries » et que nous travaillions en dehors de notre propre zone de confort. Si nous ne pouvons pas laisser notre engagement actuel et que, par conséquent, nous devenons indisponibles pour d’autres tâches, nous risquons de prendre plus d’espace que nécessaire ou de prendre plus de choses difficiles à supporter.
La désinstallation suppose un détachement du pouvoir ambivalent de l’institution établie, que ce soit dans l’Église ou dans la société. En revanche, l’installation consiste à être fixé ou attaché à un espace, qu’il soit social, politique ou économique. La désinstallation nous rend absolument libres et nous libère de l’attachement démesuré. Pour cette raison même, le détachement est une composante majeure d’une spiritualité missionnaire émergente CICM.
Esprit pionnier
Notre Fondateur était un véritable pionnier. Il a dirigé le premier groupe de missionnaires CICM en Mongolie intérieure. Ils n’étaient cependant pas les premiers missionnaires là-bas. Ils ont repris un vaste territoire ecclésiastique qui était d’abord desservi par les Lazaristes. Selon les récits historiques, il y avait déjà un bon nombre de chrétiens et quelques prêtres diocésains ordonnés. Apparemment, ils ne faisaient que poursuivre le travail de leurs prédécesseurs. Bien sûr, ils étaient fils de leur temps. Ils adhéraient à la conception ecclésiastique officielle de la mission et leur entreprise missionnaire était menée selon les règles établies par la Propaganda Fide. L’une des particularités qui distinguaient Verbist et ses compagnons était peut-être leur « obstination » qu’est une passion particulière, par amour de la mission, pour faire ce qui est le plus difficile. En tant que pionniers, ils apportaient quelque chose de nouveau à la mission de l’Église. En tant que pionniers, ils étaient des précurseurs et des éclaireurs. Ils avaient tracé de nouvelles pistes pour les autres et découvert des sentiers non battus pour les autres. Ils étaient comme Jean Baptiste, le Précurseur, qui avait préparé la voie du Seigneur. Le Fondateur et ses premiers compagnons l’ont fait pour nous, la nouvelle génération de missionnaires CICM - nous sommes leurs « arrière-petits-enfants spirituels ».
Amanti nihil difficile (Rien n'est difficile pour celui qui aime)
Ce dicton latin se trouve dans l’une des lettres de notre Fondateur. Cette attitude missionnaire est étroitement liée à l’esprit pionnier de Verbist et ses premiers compagnons. Il semble que la nomination missionnaire dans des pays plus développés soit plus attrayante. Le travail missionnaire dans des centres-ville est préférable à celui dans des périphéries. Seuls quelques-uns osent faire des œuvres de pionniers pour de bonnes raisons. Dans la plupart de nos affiches pour l’animation vocationnelle, nous montrons de belles photos de confrères souriants, heureux et satisfaits de leur travail missionnaire. Si jamais nous montrons un confrère qui gravit une montagne accidentée ou qui traverse une rivière traîtresse, c’est généralement une image mitigée par sa pure aventure et ses sensations fortes préférées par la génération dite millénaire. Il ne pourrait s’agir que d’excellents angles photographiques et de poses pour les selfies.
La prise de risques est plus souvent assimilée à un sentiment momentané de crainte et d’émerveillement ou à une dose exaltante de poussée d’adrénaline, mais pas exactement aux douleurs, aux agonies, aux sacrifices et aux difficultés de nos missionnaires pionniers dans les arrière-pays abandonnés de la Chine, dans les forêts inhospitalières du Congo et les montagnes accidentées des Philippines. Nous semblons vendre un christianisme agréable et sûr ou un Évangile de prospérité sans la croix. Un christianisme doux qui n’est pas trop exigeant ou un christianisme sans Gethsémani et sans Golgotha est très difficile à vendre et ne peut être qu’un désastre marketing. Comme l’affirme Timothy Radcliffe : « Un tel “marketing” du christianisme est voué à l’échec : avant tout, parce que la spiritualité chrétienne est tout sauf sûre. Une foi apprivoisée trahit ce qui est en son cœur même, à savoir l’aventure de la transcendance. Le christianisme est séduisant parce qu’il nous invite à être audacieux et à donner notre vie sans condition. Il est la porte de l’infini. »[3]
Alors que nous célébrons le bicentenaire de la naissance de notre Fondateur, nous commémorons également sa mort prématurée. La vie est un continuum significatif de la naissance à la mort. À la mort de Verbist, nous ne pouvons dire que du bien de lui. En effet, Verbist a vécu une vie courte par rapport à la norme de longévité d’aujourd’hui. Il n’avait que 44 ans et a passé à peine 27 mois en mission à l’étranger.[4] Il est mort en Chine, son pays de mission, très loin de sa Belgique natale. Il est certain que le doute et un peu de pessimisme avaient envahi les premiers confrères CICM et leurs bienfaiteurs au pays lorsqu’il mourut prématurément. Il avait l’intention de retourner en Europe après sa dernière visite pastorale « pour donner une orientation finale » à la formation des jeunes missionnaires. Sa mort prématurée a semblé être un coup dur pour la Congrégation naissante. Les mêmes inquiétudes et préoccupations ont habité les autorités ecclésiastiques lorsque les cinq premiers missionnaires de la Société des Missions Africaines (SMA), dont le fondateur Melchior Marion de Brésillac, sont morts en l’espace de six semaines en Sierra Leone après y être débarqués brièvement en 1859. Mais leur congrégation a survécu. La nôtre aussi a fleuri sous la direction du Saint-Esprit. La mort n’a pas eu le dernier mot pour cette congrégation si chère à Verbist.
La dignité d’une personne ne se mesure pas à sa longévité ni à sa productivité, moins encore à son utilité. Elle se mesure plutôt à sa capacité de plaire à Dieu et de faire Sa volonté. Elle se manifeste dans sa disposition à renoncer à elle-même, à prendre sa croix et à suivre le Seigneur et même à perdre sa vie au nom de l’Évangile. Être disciple est le fondement de la dignité de chacun. La dignité des disciples ne se perd jamais dans la mort, mais elle est au contraire renforcée et exaltée.
En tant qu’humble disciple de Jésus-Christ, Verbist est mort pour le bien du Maître et celui de l’Évangile. Et sa mort, comme un grain de blé tombé en terre, n’a pas été vaine. Ella a porté beaucoup de fruits. Pour certains, la mort signifie la fin. Pour d’autres, la mort n’est que le début d’une nouvelle vie. Oui, en effet, la mort de notre Fondateur a été le début d’une nouvelle vie pour la Congrégation. Depuis lors, l’héritage spirituel de Verbist a été transmis aux différentes générations de missionnaires CICM. Nous sommes des missionnaires consacrés ad gentes et ad extra. Nous portons en nous l’esprit pionnier de Verbist et ses premiers compagnons. Et nous osons aller, contre vents et marées, là où « l’Évangile n’est pas connu ou vécu ».
Notre Congrégation a grandi au fil des ans avec des œuvres très diverses et s’est étendue sur quatre continents. Aujourd’hui, nous avons de nombreuses raisons de nous réjouir et de remercier le Seigneur, entre autres, pour le don de la vie de Verbist et pour son dévouement total à la mission jusqu’à sa mort prématurée, et pour toute Sa bonté et Ses bénédictions à l’égard de l’ensemble de notre Congrégation malgré nos défauts et nos manquements.
[1] Actes du 15e Chapitre général, p. 33.
[2] Ibid.
[3] Timothy Radcliffe, Alive in God: A Christian Imagination (London : Bloomsbury, 2019), p. 42
[4] Verbist et ses premiers compagnons quittèrent Scheut, Bruxelles, le 25 août 1865, arrivèrent à Pékin le 25 novembre 1865 et atteignirent finalement Xiwanze le 6 décembre 1865. Verbist est mort le 23 février 1868 à Laohugou. Voir Nestor Pycke, Théophile Verbist’s Adventure (Louvain: Institut F. Verbiest, 2010), pp. 57–59.
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